e, je commencai a les compter
et recompter dans mon chapeau. Je n'etois pas maitre de ma joie; je
n'avois jamais vu tant d'argent; je ne pouvois me lasser de le
regarder et de le manier. Je la comptois peut-etre pour la
vingtieme fois, quand tout-a-coup ma mule, levant la tete et les
oreilles, s'arreta au milieu du grand chemin. Je jugeai que quelque
chose l'effrayoit; je regardai ce que ce pouvoit etre. J'apercus
sur la terre un chapeau renverse sur lequel il y avoit un rosaire a
gros grains, et en meme temps j'entendis une voix lamentable qui
prononca ces paroles: Seigneur passant, ayez pitie, de grace, d'un
pauvre soldat estropie: jetez, s'il vous plait, quelques pieces
d'argent dans ce chapeau; vous en serez recompense dans l'autre
monde. Je tournai aussitot les yeux du cote d'ou partoit la voix.
Je vis au pied d'un buisson, a vingt ou trente pas de moi, une
espece de soldat qui, sur deux batons croises, appuyoit le bout
d'une escopette, qui me parut plus longue qu'une pique, et avec
laquelle il me couchoit en joue. A cette vue, qui me fit trembler
pour le bien de l'eglise, je m'arretai tout court; je serrai
promptement mes ducats; je tirai quelques reaux, et, m'approchant
du chapeau, dispose a recevoir la charite des fideles effrayes, je
les jetai dedans l'un apres l'autre, pour montrer au soldat que
j'en usois noblement. Il fut satisfait de ma generosite, et me
donna autant de benedictions que je donnia de coups de pieds dans
les flancs de ma mule, pour m'eloigner promptement de lui; mais la
maudite bete, trompant mon impatience, n'en alla pas plus vite; la
longue habitude qu'elle avoit de marcher pas a pas sous mon oncle
lui avoit fait perdre l'usage du galop."
In France, the custom of travelling on mules was unknown, so was the
coin ducats, so was that of begging with a rosary, and of extorting
money in the manner in which Gil Blas describes. In fact, the "useful
magnificence," as Mr Burke terms it, of the spacious roads in France,
and the traffic carried on upon them, would render such a manner of
robbing impossible. How then could Le Sage, who had never set his foot
in Spain, hit upon so accurate a description? Again, Rolando explains to
Gil Blas the origin of the subterraneous passages, to which an allusion
is also made by Raphael; now such are in France utterly unknown.
Rolando
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