ou il appelle la beaute "le plaisir
objectifie"; et en verite, c'est bien ici qu'on pourrait parler de
projection au dehors. On dit indifferemment une chaleur agreable, ou une
sensation agreable de chaleur. La rarete, le precieux du diamant nous en
paraissent des qualites essentielles. Nous parlons d'un orage affreux,
d'un homme haissable, d'une action indigne, et nous croyons parler
objectivement, bien que ces termes n'expriment que des rapports a notre
sensibilite emotive propre. Nous disons meme un chemin penible, un ciel
triste, un coucher de soleil superbe. Toute cette maniere animiste de
regarder les choses qui parait avoir ete la facon primitive de penser
des hommes, peut tres bien s'expliquer (et M. Santayana, dans un autre
livre tout recent,[118] l'a bien expliquee ainsi) par l'habitude
d'attribuer a l'objet _tout_ ce que nous ressentons en sa presence. Le
partage du subjectif et de l'objectif est le fait d'une reflexion tres
avancee, que nous aimons encore ajourner dans beaucoup d'endroits. Quand
les besoins pratiques ne nous en tirent pas forcement, il semble que
nous aimons a nous bercer dans le vague.
Les qualites secondes elles-memes, chaleur, son, lumiere, n'ont encore
aujourd'hui qu'une attribution vague. Pour le sens commun, pour la vie
pratique, elles sont absolument objectives, physiques. Pour le
physicien, elles sont subjectives. Pour lui, il n'y a que la forme, la
masse, le mouvement, qui aient une realite exterieure. Pour le
philosophe idealiste, au contraire, forme et mouvement sont tout aussi
subjectifs que lumiere et chaleur, et il n'y a que la chose-en-soi
inconnue, le "noumene," qui jouisse d'une realite extramentale complete.
Nos sensations intimes conservent encore de cette ambiguite. Il y a des
illusions de mouvement qui prouvent que nos premieres sensations de
mouvement etaient generalisees. C'est le monde entier, avec nous, qui se
mouvait. Maintenant nous distinguons notre propre mouvement de celui des
objets qui nous entourent, et parmi les objets nous en distinguons qui
demeurent en repos. Mais il est des etats de vertige ou nous retombons
encore aujourd'hui dans l'indifferenciation premiere.
Vous connaissez tous sans doute cette theorie qui a voulu faire des
emotions des sommes de sensations viscerales et musculaires. Elle a
donne lieu a bien des controverses, et aucune opinion n'a encore conquis
l'unanimite des suffrages. Vous connaissez aussi les controverses sur la
nature de l
|