re l'eglise et la
forteresse, qui sert encore de residence au chef du pays. La il brava
longtemps encore la puissance des Turcs et leur fit essuyer de sanglants
desastres.
Le souvenir d'Ivo le noir est encore vivant au Montenegro; une foule de
sources, de fontaines, de monuments ruines, de rocs isoles portent le
nom du heros tsernogorste. Il maria son fils a la fille du doge de
Venise, s'il faut en croire la piesma suivante.
Ivo ecrit une longue lettre au doge de la grande Venise:
"Ecoute-moi, doge, comme on dit que tu as chez toi la plus belle des
roses, de meme il y a chez moi le plus beau des oeillets. Doge, unissons
la rose avec l'oeillet."
Le doge venitien repond d'un ton flatteur; Ivo se rend a la cour,
emportant trois charges d'or pour courtiser au nom de son fils la belle
Latine.
Quand il eut prodigue son or, les Latins convinrent avec lui que les
noces auraient lieu aux prochaines vendanges.
Ivo, qui etait sage, profera en partant des paroles insensees: "Ami et
doge, lui dit-il, tu me reverras bientot avec six cents convives
d'elite, et s'il y en a un seul parmi eux qui soit plus beau que mon
fils Stanicha, ne me donne ni dot ni fiancee." Le doge, rejoui, lui
serre la main et lui presente la pomme d'or[1]. Ivo retourne dans ses
Etats.
[Footnote 1: Selon M. Cyprien Robert, auquel nous devons l'elegante
traduction de ces _piesmas_, la pomme est encore, pour ces peuples
slavo-grecs, comme au temps de Paris et d'Helene, le symbole de l'hymen
et de la beaute.]
Il approchait de son chateau de Jabliak quand, du haut de la tour aux
elegants balcons, dont le soleil couchant faisait etinceler les vitres,
sa fidele compagne l'apercoit.
Aussitot elle s'elance a sa rencontre, couvre de baisers le bas de son
manteau, presse sur son coeur ses armes terribles, les porte de ses
propres mains dans la tour et fait presenter au heros un fauteuil
d'argent.
L'hiver se passa joyeusement, mais le printemps fit eclater, sur
Stanicha la petite verole, qui lui laboura le visage en tous les sens.
Quand aux approches de l'automne le vieillard eut rassemble ses six
cents convives, il fut, helas! facile de trouver parmi eux un jeune
homme plus beau que son fils. Alors son front se couvre de rides, ses
noires moustaches qui atteignaient ses epaules s'affaissent.
Sa compagne, instruite du sujet de sa douleur, lui reproche l'orgueil
qui l'a pousse de s'allier aux superbes Latins. Ivo, blesse de ces
reproches, s'empo
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