s a des motions encore plus ardentes que celles que je
viens d'entendre.
Le jeune senateur, au contraire, conseille la prudence a ses confreres;
il les engage a bien reflechir avant d'attirer les maux de la guerre sur
la tete de leurs concitoyens. Il ne dit pas que l'empereur de Russie ne
soit pas un souverain tres-puissant, mais peut-etre n'aura-t-il pas
autant de facilite qu'on le croit, a dominer tous les autres Etats, qui
ne laisseront point disparaitre la Turquie. L'orateur ajoute qu'il lui
semble inutile pour le moment de se compromettre pour la Russie. On sera
toujours a temps de prendre un parti. D'ailleurs les Turcs nous laissent
tranquilles en ce moment, pourquoi irions-nous les attaquer? Maintenons
la paix pour mener a bonne fin les utiles reformes entreprises au profit
de la prosperite et de la civilisation de notre pays.
Il est tres-evident que cette opinion est en grande minorite dans
l'assemblee. Apres ce discours, le vladika se leve, et, attendu que
l'heure du deuxieme repas, va bientot sonner, il ajourne la reunion du
senat a quatre heures du soir.
XX.
13 mars. J'ai vu le vladika ce matin. Il m'a recu avec sa bienveillance
accoutumee. Il m'a paru plus triste qu'hier. Kovalevski sortait au
moment ou j'entrais chez Danilo. Je lui ai demande la cause de sa
preoccupation.
"Le soviet a prononce, m'a-t-il repondu, a la presque unanimite. Il cede
aux suggestions de la Russie, il veut faire la guerre, et je suis force
de lui ceder.
--Nul cependant n'oserait vous resister, si vous disiez non, votre
pouvoir est sans borne.
--Vous vous trompez, repond tristement l'eveque, il y a des prejuges
devant lesquels je suis force de m'incliner.
"Kovalevski est au fond le veritable souverain du Montenegro, la Russie
regne ici bien plus encore que moi.
"Pendant longtemps encore la guerre, et surtout la guerre contre les
Turcs sera la passion dominante dans ce pays. Il faut avoir ete eleve a
l'etranger, ou avoir beaucoup voyage comme ce pauvre Shebievjt, que vous
avez entendu hier au soviet, ou comme moi, pour comprendre quels
resultats heureux la paix peut avoir, et quelle influence elle exerce
sur la prosperite d'une nation; mais je ne puis lutter contre
l'ignorance de mes compatriotes, elle m'entraine, elle me deborde; je
sens qu'il faut que je lui obeisse, si je ne veux pas me perdre.
"Que vont devenir mes ecoles pendant la guerre; le sang va emporter le
germe si laborieusement seme par mon
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