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Le vladika vient s'asseoir au bout du banc. Un coussin rouge, entoure
d'un galon d'or, distingue seul sa place de celle des autres senateurs.
Le secretaire du soviet, assis a la turque, tient une plume, une
ecritoire, et du papier sur ses genoux.
Maintenant que le vladika a prononce la priere qui precede l'ouverture
des debats, tous les senateurs allument leur tchibouk.
Le vladika ouvre la seance par le discours suivant:
"Chers freres et chers fils,
"J'ai montre a Dieu mon coeur saignant des miseres de mon peuple, et je
lui ai demande si nous devions souffrir plus longtemps les souffrances
que les infideles font endurer a nous et a nos freres.
"Le Seigneur m'a repondu: "Montre egalement ton coeur saignant a ceux qui
sont charges avec toi de veiller sur le sort de mes Tsernogorstes, que
j'ai toujours les premiers devant ma face."
"C'est pourquoi, chers freres et chers fils, je vous ai ecrit: faites
sangler vos anes et vos mulets, et venez promptement me rejoindre dans
la maison du soviet.
"Maintenant, examinons ensemble ce qu'il convient de faire.
"Quiconque dira le contraire aura menti: la sainte religion souffre et
crie vers nous, parce qu'elle est la proie des infideles. Serions-nous
des hommes si nous la laissions souffrir plus longtemps.
"Il y a ici un ami de notre pere qui m'a dit: "Vladika, mon maitre, le
maitre de la Russie sainte, le tzar orthodoxe m'a ordonne de venir vers
toi, et de te dire que les Tsernogorstes n'ont qu'a prendre leur fusil
et a se mettre en campagne.
"Je leur fournirai de la poudre et des balles, ils auront des roubles,
afin d'acheter de la viande seche pour nourrir la femme et les enfants a
la maison. Le moment est venu de chasser l'infidele, et de faire manger
aux corbeaux les fils du prophete.
"Qu'ils se levent donc mes braves Tsernogorstes, et pendant que mes
vaillantes armees attaqueront Constantinople, que la montagne Noire
lance ses enfants sur la frontiere turque et qu'ils reviennent charges
de butin et de tetes."
"Voila ce que l'ami du tzar m'a dit de sa part, et moi je viens vous
demander ce que vous voulez faire."
Un senateur, apres avoir croise ses jambes a la turque, sans doute afin
de pouvoir parler plus commodement, prend la parole. Son discours dure
une heure environ; mais le ton nazillard et la rapidite de prononciation
de l'orateur, m'empechent de le comprendre.
Le senateur qui lui succede est un vieillard, dont le menton est orne
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