dans le pays.
Cette fois, le criminel etait un montagnard qui jouissait d'une grande
importance dans sa tribu a cause de sa bravoure.
Le peuple remplissait la plate-forme. Le piquet d'execution allait
paraitre, lorsqu'on vit le colonel Kovalevski traverser la place et
entrer dans la maison du vladika.
Aussitot le bruit se repandit qu'il allait solliciter la grace du
condamne.
En effet, l'officier russe, apres les saluts d'usage, prit place sur un
divan aupres de l'eveque, qui lui dit aussitot:
"Pourquoi as-tu voulu me voir?
--Parce que j'ai une grace a te demander.
--Laquelle?
--La grace de cet homme qu'on va fusiller.
--Tu sais qu'il a tue.
--Je sais aussi qu'il porte sur sa poitrine une croix qui lui a ete
donnee par notre maitre et notre pere spirituel le tzar. Il ne faut pas
que cet homme meure; le moment n'est pas loin ou, dans le Tsernogore,
on aura besoin de braves comme lui."
Nous devons a l'obligeance d'un voyageur qui arrive du Montenegro la
communication d'un journal inedit auquel nous empruntons les details
qu'on vient de lire. Le vladika ne put refuser aux instances du colonel
la grace du meurtrier.
Aussitot que cette nouvelle se fut repandue, la foule fit retentir l'air
de ses acclamations: "Vive la Russie! vive le tzar! vive notre pere!"
Kovalevski avait parle d'un moment peu eloigne ou le besoin des braves
se ferait sentir au Montenegro. Nous avons eu le mois dernier
l'explication de ces paroles.
Maintenant laissons parler le journal de notre voyageur.
XIX.
11 MARS.--J'arrive du _soviet_ (maison du senat). Les senateurs vont
bientot entrer en seance. Je peux compter sous un hangar les anes et
mulets qui les ont conduits. Ici un cheval est presque un objet de
curiosite.
Le vladika sort de sa maison entoure de sa garde, et entre dans le
_soviet_. Pour representer la publicite des assemblees deliberantes
europeennes, j'ai persuade au vladika qu'il convenait de me laisser
assister a la seance. J'ai obtenu la permission de me tenir debout
derriere la porte d'entree. C'est la ma tribune.
Je m'apercois que le colonel Kovalevski occupe deja une place derriere
le banc senatorial.
Les senateurs arrivent par groupes, et, apres avoir suspendu leurs armes
a la muraille, ils s'asseyent sur un banc circulaire de pierre,
recouvert d'un tapis.
Un atre, creuse dans la terre, au milieu meme du cercle, promene les
reflets de sa flamme sur la figure des peres conscrits
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