c un sourire celui qui, une heure plus tot, lui
amenait la ruine ou la mort.
D'Artagnan trouva dans sa bonte d'ame et dans son inepuisable
vigueur corporelle assez de presence d'esprit pour se rappeler le
bon accueil de cet homme; il le salua donc aussi, bien plutot par
bienveillance et par compassion que par respect.
Il se sentit sur les levres ce mot qui tant de fois avait ete
repete au duc de Guise: "Fuyez!" Mais prononcer ce mot, c'eut ete
trahir une cause; dire ce mot dans le cabinet du roi et devant un
huissier, c'eut ete se perdre gratuitement sans sauver personne.
D'Artagnan se contenta donc de saluer Fouquet sans lui parler et
entra. En ce moment meme, le roi flottait entre la surprise ou
venaient de le jeter les dernieres paroles de Fouquet et le
plaisir du retour de d'Artagnan.
Sans etre courtisan, d'Artagnan avait le regard aussi sur et aussi
rapide que s'il l'eut ete.
Il lut en entrant l'humiliation devorante imprimee au front de
Colbert.
Il put meme entendre ces mots que lui disait le roi:
-- Ah! monsieur Colbert, vous aviez donc neuf cent mille livres a
la surintendance?
Colbert, suffoque, s'inclinait sans repondre. Toute cette scene
entra donc dans l'esprit de d'Artagnan par les yeux et par les
oreilles a la fois.
Le premier mot de Louis XIV a son mousquetaire, comme s'il eut
voulu faire opposition a ce qu'il disait en ce moment, fut un
bonjour affectueux.
Puis son second un conge a Colbert.
Ce dernier sortit du cabinet du roi, livide et chancelant, tandis
que d'Artagnan retroussait les crocs de sa moustache.
-- J'aime a voir dans ce desordre un de mes serviteurs, dit le
roi, admirant la martiale souillure des habits de son envoye.
-- En effet, Sire, dit d'Artagnan, j'ai cru ma presence assez
urgente au Louvre pour me presenter ainsi devant vous.
-- Vous m'apportez donc de grandes nouvelles, monsieur? demanda le
roi en souriant.
-- Sire, voici la chose en deux mots: Belle-Ile est fortifiee,
admirablement fortifiee; Belle-Ile a une double enceinte, une
citadelle, deux forts detaches; son port renferme trois corsaires,
et ses batteries de cote n'attendent plus que du canon.
-- Je sais tout cela, monsieur, repondit le roi.
-- Ah! Votre Majeste sait tout cela? fit le mousquetaire
stupefait.
-- J'ai le plan des fortifications de Belle-Ile, dit le roi.
-- Votre Majeste a le plan?...
-- Le voici.
-- En effet, Sire, dit d'Artagnan, c'est bien cela, et la-bas j'a
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