e de Beatrice se pencha sur l'epaule de
Stella, pendant que, a l'autre bout de la table, Benjamin commencait a
regarder son assiette avec une fixite non equivoque. Celio, qui etait
fort comme un athlete, prit sa soeur dans ses bras et l'emporta comme un
petit enfant; Stella secouait son jeune frere pour l'emmener. Je pris un
flambeau pour diriger leur marche dans les grandes galeries du chateau,
et, tandis que Stella prenait ma bougie pour aller allumer celle de
Benjamin, Celio me dit tout bas, en me montrant Beatrice, qu'il avait
deposee sur son lit: "Elle dort comme un loir. Embrasse-la dans ces
tenebres, ta petite soeur que tu ne dois peut-etre jamais embrasser une
seconde fois." Je deposai un baiser presque paternel sur le front pur de
Beatrice, qui me repondit, sans me reconnaitre: Bonsoir, Celio! puis,
elle ajouta, sans ouvrir les yeux et avec un malin sourire: "Tu diras
a M. Salentini de ne pas faire de bruit pendant le souper, crainte de
reveiller M. le marquis de Balma!"
Stella etait revenue avec la lumiere. Nous mimes sa jeune soeur entre
ses mains pour la deshabiller, puis nous allames nous remettre a table.
Stella revint bientot aussi, rapportant ce delicieux costume andalous de
Zerlina qui devait etre serre et cache dans le magasin de costumes.
--Le mystere dont nous reussissons a nous entourer, me dit Cecilia,
donne un nouvel attrait a nos etudes et a nos fetes nocturnes. J'espere
que vous ne le trahirez pas, et que vous laisserez les gens du village
croire que nous allons au sabbat toutes les nuits.
Je lui racontai les commentaires de mon hotesse et l'histoire du petit
soulier.--Oh! c'est vrai, dit Stella; c'est la faute de Beatrice, qui ne
veut aller se coucher que quand elle dort debout. Cette nuit-la, elle
etait si lasse, qu'elle a dormi avec un pied chausse comme une vraie
petite sorciere. Nous ne nous en sommes apercus que le lendemain.
--Ca, mes enfants, dit Boccaferri, ne perdons pas de temps a d'inutiles
paroles. Que jouons-nous demain?
--Je demande encore _Don Juan_ pour prendre ma revanche, dit Celio; car
j'ai ete distrait ce soir et j'ai fait un progres a reculons.
--C'est vrai, repondit Boccaferri: a demain donc _Don Juan_, pour la
troisieme fois! Je commence a craindre, Celio, que tu ne sois pas assez
mechant pour ce role tel que tu l'as concu dans le principe. Je te
conseille donc, si tu le sens autrement (et le sentiment intime d'un
acteur intelligent est la meilleure critique du
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