s illusions.
Je me sentais grandir au contact de ces fraiches imaginations d'artistes
dont le vieux Boccaferri etait la cle, le lien et l'ame. Je dois dire
que Lucrezia Floriani avait bien connu et bien juge cet homme, le plus
improductif et le plus impuissant des membres de la societe officielle,
le plus complet, le plus inspire, le plus _artiste_ enfin des artistes.
Je lui dois beaucoup, et je lui en conserverai au dela du tombeau une
eternelle reconnaissance. Jamais je n'ai entendu parler avec autant de
sens, de clarte, de profondeur et de delicatesse sur la peinture.
En barbouillant de grossiers decors (car il peignait fort mal), il
epanchait dans mon sein un flot d'idees lumineuses qui fecondaient mon
intelligence, et dont je sentirai toute ma vie la puissance generatrice.
Je m'etonnai que Celio devant epouser Cecilia et devenir riche et
seigneur, les Boccaferri songeassent serieusement a lui faire reprendre
ses debuts: mais je le compris, comme eux, en etudiant son caractere, en
reconnaissant sa vocation et la superiorite de talent que chaque jour
faisait eclore en lui.--Les grands artistes dramatiques ne sont-ils pas
presque toujours riches a une certaine epoque de leur vie, me disait le
marquis, et la possession des terres, des chateaux et meme des titres
les degoute-t-elle de leur art? Non. En general, c'est la vieillesse
seule qui les chasse du theatre, car ils sentent bien que leur plus
grande puissance et leur plus vive jouissance est la. Eh bien, Celio
commencera par ou les autres finissent; il fera de l'art en grand, a son
loisir; il sera d'autant plus precieux au public, qu'il se rendra plus
rare, et d'autant mieux paye, qu'il en aura moins besoin. Ainsi va le
monde.
Celio vivait dans la fievre, et ces alternatives de fureur, d'esperance,
de jalousie et d'enivrement developperent en lui une passion terrible
pour Cecilia, une puissance superieure dans son talent. Nous lui
laissames passer deux mois dans cette epreuve brulante qu'il avait la
force de supporter, et qui etait, pour ainsi dire, l'element naturel de
son genie.
Un matin, que le printemps commencait a sourire, les sapins a se parer
de pointes d'un vert tendre a l'extremite de leurs sombres rameaux, les
lilas bourgeonnant sous une brise attiedie, et les mesanges semant les
fourres de leurs petits cris sauvages, nous prenions le cafe sur la
terrasse aux premiers rayons d'un doux et clair soleil. L'avocat de
Briancon arriva et se jeta dans l
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