ille livres de rente de mademoiselle de Balma m'avaient porte
comme un coup de massue. Epouser une fortune ne m'allait point et
derangeait les reves et l'ambition de toute ma vie, qui etait de faire
moi-meme mon existence et d'y associer une compagne de mon choix, prise
dans une condition assez modeste pour qu'elle se trouvat riche de mon
succes.
D'ailleurs, je suis ainsi fait, que l'idee de lutter contre un rival
a chances egales me plait et m'anime, tandis que la conscience de
la moindre inferiorite dans ma position, sur un pareil terrain, me
refroidit et me guerit comme par miracle. Est-ce prudence ou fierte? je
l'ignore; mais il est certain que j'etais, a cet egard, tout l'oppose de
Celio, et, qu'au lieu de me sentir acharne, par depit d'amour-propre, a
lui disputer sa conquete, j'eprouvais un noble plaisir a les rapprocher
l'un de l'autre en restant leur ami.
Cecilia vint me trouver dans la journee.--Je vais vous parler comme a un
frere, me dit-elle. Quelques mots de Celio tendraient a me faire croire
que vous etes amoureux de moi, et moi, je ne crois pas que vous y
songiez maintenant. Voila pourquoi je viens vous ouvrir mon coeur.
"Je sais qu'il y a deux mois, lorsque vous m'avez connue dans un etat
voisin de la misere, vous avez songe a m'epouser. J'ai vu la la noblesse
de votre ame, et cette pensee que vous avez eue vous assure a jamais mon
estime! et, plus encore, une sorte de respect pour votre caractere."
Elle prit ma main et la porta contre son coeur, ou elle la tint pressee
un instant avec une expression a la fuis si chaste et si tendre, que je
pliai presque un genou devant elle.
--Ecoutez, mon ami, reprit-elle sans me donner le temps de lui repondre,
je crois que j'aime Celio! voila pourquoi, en vous faisant cet aveu, je
crois avoir le droit de vous adresser une priere humble et fervente
au nom de l'affection la plus desinteressee qui fut jamais: fuyez la
duchesse de ***; detachez-vous d'elle, ou vous etes perdu!
--Je le sais, repondis-je, et je vous remercie, ma chere Cecilia, de me
conserver ce tendre interet; mais ne craignez rien, ce lien funeste n'a
pas ete contracte; votre douce voix, une inspiration de votre coeur
genereux et quatre phrases du divin Mozart m'en ont a jamais preserve.
--Vous les avez donc entendues? Dieu soit loue!
--Oui, Dieu soit loue! repris-je, car ce chant magique m'a attire
jusqu'ici a mon insu, et j'y ai trouve le bonheur.
Cecilia me regarda avec surprise.
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