choisir.
--Laissez-moi songer a cela cette nuit, dis-je en regardant Celio, et je
vous repondrai demain matin.
--Je vous attends donc demain a dejeuner, ou plutot je vous garde ici
sur l'heure.
--Non, dis-je, je demeure chez un brave homme qui ne se coucherait pas
cette nuit s'il ne tue voyait pas rentrer. Il croirait que je suis tombe
dans quelque precipice, ou que les diables du chateau m'ont devore.
Ceci convenu, nous nous separames. Celio m'aide a reprendre mes habits
et voulut me reconduire jusqu'a mi-chemin de ma demeure; mais il me
parla a peine, et quand il me quitta, il me serra la main tristement. Je
le vis s'en retourner sur la neige, avec ses bottes de cule jaune, son
manteau de velours, sa grande rapiere au cote et sa grande plume agitee
par la bise. Il n'y avait rien d'etrange comme de voir ce personnage du
temps passe traverser la campagne au clair de la lune, et de penser que
ce heros de theatre etait plonge dans les reveries et les emotions du
monde reel.
XII.
L'HERITIERE.
Je trouvai en effet mes hotes fort effrayes de ma disparition. Le bon
Volabu m'avait cherche dans la campagne et se disposait a y retourner.
Je sentis que ces pauvres gens etaient deja de vrais amis pour moi.
Je leur dis que le hasard m'avait fait rencontrer un des habitants du
chateau en qui j'avais retrouve une ancienne connaissance. La mere
Peirecote, apprenant que j'avais fait la veillee au chateau, m'accabla
de questions, et parut fort desappointee quand je lui repondis que je
n'avais vu la rien d'extraordinaire.
Le lendemain, a neuf heures, je me rendis au chateau en prevenant mes
hotes que j'y passerais peut-etre quelques jours et qu'ils n'eussent pas
a s'inquieter de moi. Celio venait a ma rencontre.--Tu as bien dormi! me
dit-il en me regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux.
--Je l'avoue, repondis-je, et c'est la premiere fois depuis longtemps.
J'ai eprouve un merveilleux bien-etre, comme si j'etais arrive au vrai
but de mon existence, heureux ou miserable. Si je dois etre heureux
par vous tous qui etes ici, ou souffrir de la part de plusieurs, il
n'importe. Je me sens des forces nouvelles pour la joie comme pour la
douleur.
--Ainsi, tu l'aimes?
--Oui, Celio, et toi?
--Eh bien, moi je ne puis repondre aussi nettement. Je crois l'aimer et
je n'en suis pas assez certain pour le dire a une femme que je respecte
par-dessus tout, que je crains meme un peu. Ainsi je me vois supplante
d'avance
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