Rare, en effet, et mignonne a ravir,
Tant, qu'a jamais, pour l'aimer et servir,
Je n'en voudrais pour moi qu'une ainsi faite!
--"Mon bon Jeannot, aime-moi seulement,"
Reprit la Fee; "il n'est point de tendresses
Et de baisers et de bonnes caresses,
Que je ne fasse a mon fidele amant.
Aime-moi bien, puisque je suis jolie,
Aime-moi bien aussi, pour ma bonte.
Je suis liee a cet arbre enchante:
Romps, en m'aimant, le charme qui me lie."
"Je ne dis non," fit l'autre, "et je m'en vais
Tout droit conter notre cas a ma mere.
Conseil ne nuit: l'on cueille pomme amere
Sans que pourtant le pommier soit mauvais."
Il fut conter la chose toute telle,
Riant, pleurant, amoureux et dispos.
Du coup, sa Mere en laissa choir deux pots
Qu'elle tenait.
--"Eh! mon gars," lui dit-elle,
"Fais a ton gre. Ce nous est grand honneur.
Va, mon garcon, et pousse l'aventure.
Nous aurons gens, malgre notre roture,
Pour nous donner bientot du Monseigneur!"
Elle revait deja vaisselle plate,
Non plus sale, mais belle venaison,
Vin en tonneaux et le linge a foison,
Cotte de soie et robe d'ecarlate.
Jeannot courut.
L'aurore jusqu'aux cieux
Avait pousse sa lueur roselee;
La Fee etait bel et bien envolee
Et tout le Bois rose et silencieux.
MORALITE
Ne tardez pas, quand l'heure heureuse sonne,
Gentils amants. Aimez-vous sans facon.
Le bel Amour n'a besoin de lecon,
Le bel Amour ne consulte personne.
BELLE MIGNONNE
I
COMMENT BELLE-MIGNONNE AIMA LE PAGE PARFAIT
AU DETRIMENT DE BEAUX FILS DE ROIS
L'Infante avait seize printemps,
Dont je vous veux conter la vie.
La legende que j'ai suivie
Fait regner son pere du temps
Que l'histoire n'etait ecrite;
Il n'importe. Mais je voudrais
Faire aimer ses gentils attraits
Selon leur grace et leur merite.
Belle-Mignonne etait son nom:
Ce nom, s'il faut que j'en raisonne,
Venait de ce que sa personne
N'avait trait qui ne fut mignon.
Parmi les plus belles merveilles,
Il n'etait point telle beaute,
Tant que chaque Prince invite
N'avait plus que soucis et veilles.
Ils amenaient de grands presents
En or, joyaux et haquenees,
En etoffes bien faconnees,
En santal, myrrhe et grains d'encens,
Ce qui faisait bien mieux l'affaire
Du Roi que les maigres cadeaux
Qu'en sonnets, dizains et rondeaux,
Les Poetes lui venaient faire.
Parmi tous ces beaux fils de Roi,
Etait un pauvre petit page;
Il n'avait aucun equipage,
Or, ni joyaux, ni palefro
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