ous le nom de
mademoiselle Moriat (c'etait le nom de famille d'Eugenie, qui la faisait
passer pour sa soeur), ma compagne revint me donner les eclaircissements
dont j'avais besoin pour la secourir.
"Vous avez de l'amitie pour le Masaccio? me dit-elle pour commencer;
vous vous interessez a son sort? et vous aimerez d'autant mieux Laure,
qu'elle est plus chere a Paul Arsene?
--Quoi! Eugenie, m'ecriai-je, vous sauriez les secrets du Masaccio? Ces
secrets, impenetrables pour moi, il vous les aurait confies?"
Eugenie rougit et sourit. Elle savait tout depuis longtemps. Tandis
que le Masaccio faisait son portrait, elle avait su lui inspirer une
confiance extraordinaire. Lui, si reserve, et meme si mysterieux,
il avait ete domine par la bonte serieuse et la discrete obligeance
d'Eugenie. Et puis l'homme du peuple, mefiant et fier avec moi, avait
ouvert fraternellement son coeur a la fille du peuple: c'etait legitime.
Eugenie avait promis le secret; elle l'avait religieusement garde. Elle
me fit subir un interrogatoire tres-judicieux et tres-fin, et quand
elle se fut assuree que ma curiosite n'etait fondee que sur un interet
sincere et devoue pour son protege, elle m'apprit beaucoup de choses; a
savoir: primo, que madame Poisson n'etait pas madame Poisson, mais bien
une jeune ouvriere nee dans la meme ville de province et dans la meme
rue que le petit Masaccio. Celui-ci avait eu pour elle, presque des
l'enfance, une passion romanesque et tout a fait malheureuse; car la
belle Marthe, encore enfant elle-meme, s'etait laisse seduire et enlever
par M. Poisson, alors commis voyageur, qui etait venu avec elle dresser
la tente de son cafe a la grille du Luxembourg, comptant sans doute sur
la beaute d'une telle enseigne pour achalander son etablissement. Cette
secrete pensee n'empechait pas M. Poisson d'etre fort jaloux, et, a la
moindre apparence, il s'emportait contre Marthe, et la rendait fort
malheureuse. On assurait meme dans le quartier qu'il l'avait souvent
frappee.
En second lieu, Eugenie m'apprit que Paul Arsene, ayant un soir,
contrairement a ses habitudes de sobriete, cede a la tentation de boire
un verre de biere, etait entre, il y avait environ trois mois, au cafe
Poisson; que la, ayant reconnu dans cette belle dame vetue de blanc
et coiffee de ses beaux cheveux noirs, en chatelaine du moyen age, la
pauvre Marthe, ses premieres, ses uniques amours, il avait failli se
trouver mal. Marthe lui avait fait signe de ne
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