intraitables. Au diable l'hotesse inconnue et sa
reputation compromise! pensai-je; et ne pouvant renoncer a garder mon
tresor a vue, ne pouvant plus resister a la fatigue, je me couchai sur
la natte de paille dans l'embrasure de ma porte, et je finis par m'y
endormir.
Heureusement nous demeurions au dernier etage de la maison, et la seule
chambre qui donnat sur notre palier n'etait pas louee. Je ne courais
pas risque d'etre surpris dans cette ridicule situation par des voisins
medisants.
Je ne dormis ni longtemps ni paisiblement, comme on peut croire. Le
froid du matin m'eveilla de bonne heure. J'etais brise, je fumai pour
me ranimer, et quand, vers six heures, j'entendis ouvrir la porte de la
maison, je sonnai a la mienne. Il me fallut encore attendre et encore
subir l'examen du guichet. Enfin il me fut permis de rentrer.
"Ah! mon Dieu! dit Eugenie en frottant ses yeux appesantis par un
sommeil meilleur que le mien. Vous me paraissez change! Pauvre
Theophile! vous avez donc ete bien mal couche chez votre ami Horace?
--On ne peut pas plus mal, repondis-je, un lit tres dur. Et votre hote,
est-il enfin parti?
--Mon hote!" dit-elle avec un etonnement si candide que je me sentis
penetre de honte.
Quand on est coupable, on a rarement l'esprit de se repentir a temps.
Je sentis le depit me gagner, et n'ayant rien a dire qui eut le sens
commun, je posai ma canne un peu brusquement sur la table, et je jetai
mon chapeau avec humeur sur une chaise: il roula par terre, je lui
donnai un grand coup de pied; j'avais besoin de briser quelque chose.
Eugenie, qui ne m'avait jamais vu ainsi, resta stupefaite: elle ramassa
mon chapeau en silence, me regarda fixement, et devina enfin ma
souffrance, en voyant l'alteration profonde de mes traits. Elle etouffa
un soupir, retint une larme, et entra doucement dans ma chambre a
coucher, dont elle referma la porte sur elle avec soin. C'etait la
qu'etait le personnage mysterieux. Je n'osais plus, je ne voulais plus
douter, et, malgre moi, je doutais encore. Les pensees injustes, quand
nous leur laissons prendre le dessus, s'emparent tellement de nous,
qu'elles dominent encore notre imagination alors que la raison et la
conscience protestent contre elles. J'etais au supplice; je marchais
avec agitation dans mon cabinet, m'arretant a chaque tour devant cette
porte fatale, avec un sentiment voisin de la rage. Les minutes me
semblaient des siecles.
Enfin la porte se rouvrit, et une fe
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