marquer ici que ces douceurs etaient
celles envoyees par les dames de Montreal, et dont l'etiquette etait
enlevee pour etre remplacee par une autre a l'adresse d'autres
bataillons. Alors les soldats anglais se racontaient d'une maniere
cynique le voyage du 65eme suivant les rapports qu'ils en avaient lus
dans le "News," et parlaient assez haut pour que l'un des blesses du
65eme put les entendre. Mais l'on serait porte a croire que la jalousie
seule ou l'orgueil faisait ainsi agir les heros de l'Anse aux Poissons,
et que dans certaine circonstance leur coeur parlerait plus haut que
leurs prejuges. Qu'on se detrompe! L'on ne peut guere se figurer
jusqu'ou le fanatisme et la jalousie peuvent mener. Une circonstance
entre cent le demontrera.
C'etait le 14 juin, au matin, le soldat Gauthier venait de quitter ses
blesses pour voir a leur nourriture. Lemay souffrait horriblement. La
nuit precedente le vent avait enleve la tente et pendant plusieurs
minutes il etait reste expose au froid. Incapable de se remuer d'un cote
ou de l'autre, il demande a un grand Anglais qui fumait tranquillement
sa pipe s'il serait assez bon de le changer de cote. L'Anglais se leva
brusquement sans dire un mot et, saisissant Lemay par un bras, le
renversa brutalement du cote oppose. Immediatement sa plaie se rouvrit
et son bandage tomba. Trop affaibli pour dire un seul mot, il gemit de
son impuissance et de la force de la douleur. Quelques instants plus
tard, Lemay demanda tranquillement au jeune Anglais qui l'avait si
brutalement servi pourquoi il le maltraitait ainsi. "Tu te plains comme
une femme, s... cochon de Francais," lui repondit-il. (You moan like a
woman, g... d... pig of a Frenchman.) Non content de ces paroles, il
lui rappela une a une toutes les attaques du "News" contre le 65eme, et
pendant une demi-heure ne cessa de l'accabler d'injures. Lemay gisait
tout le temps immobile sur son lit, incapable de prononcer un mot,
impuissant a faire un geste. O lache! triple lache! qui profites ainsi
de la faiblesse de ton rival pour l'insulter et lui jeter ta venimeuse
calomnie a la face. Tu montrais la toute la grandeur de ton courage.
Va! tu n'as rien a craindre d'aucun membre du 65e, personne ne te
touchera... de peur de se salir,... tu n'auras qu'a proteger ta face
contre les crachats!
Par bonheur, l'arrivee de l'infirmier Gauthier coupait court aux
discours du soldat anglais, et Lemay et Marcotte reposaient tranquilles
le reste de la jour
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