uante ans, arrive a une situation veritablement prodigieuse et
s'empare d'un souverain dans tout l'eclat, dans tout le prestige de la
victoire et de la puissance; une femme qui, avec une habilete voisine de
l'ensorcellement, supplante toutes les plus belles, toutes les plus
riches, toutes les plus nobles jeunes filles du monde, dont pas une
n'aurait ete fiere de s'unir au Grand Roi; une femme qui, apres avoir ete
plusieurs fois reduite a la misere, devient la personnalite la plus
importante de France apres Louis XIV! Et cependant elle n'est pas
heureuse! Est-ce parce que le roi ne l'aime pas assez? Nullement. Car les
lettres qu'il lui adresse, s'il est force de passer quelques jours loin
d'elle, sont concues dans le style de celle-ci:
"Je profite de l'occasion du depart de Montchevreuil pour vous attester
une verite qui me plait trop pour me lasser de vous la dire: c'est que je
vous cheris toujours, que je vous considere a un point que je ne puis
exprimer, et qu'enfin, quelque amitie que vous ayez pour moi, j'en ai
encore plus pour vous, etant de tout mon coeur tout a fait a vous[1]."
[Note 1: Lettre ecrite pendant le siege de Mons, avril 1691.]
Si elle est triste, est-ce parce qu'il lui resterait encore un degre a
franchir sur le merveilleux escalier de sa fortune? Est-ce parce qu'elle
n'a pu changer en trone son fauteuil presque royal? En aucune maniere.
Reine reconnue, Mme de Maintenon serait demeuree triste toujours, et son
frere aurait pu encore lui dire:
"Aviez-vous donc promesse d'epouser le Pere eternel?"
Pendant plus de trente ans, elle devait regner sans partage sur l'ame du
plus grand des rois, et ce n'etait pas seulement le monarque, c'etait la
monarchie qui s'inclinait respectueusement devant elle. Toute la cour
etait a ses pieds, sollicitant un mot, un regard. Comme le disaient les
dames de Saint-Cyr dans leurs notes: "Des parlements, des princes, des
villes, des regiments s'adressaient a elle comme au roi; tous les grands
du royaume, les cardinaux, les eveques, ne connaissaient pas d'autre
route." Elle etait au point culminant du credit, de la consideration, de
la fortune, et cependant, je le repete, elle n'etait pas heureuse!
Fenelon lui ecrivait, le 14 octobre 1689:
"Dieu exerce souvent les autres par des croix qui paraissent croix. Pour
vous, il veut vous crucifier par des prosperites apparentes, et vous
montrer a fond le neant du monde par la misere attachee a tout ce que le
monde lui-mem
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