edition de Patras,
soit qu'il ne l'attendit pas, soit que, dans sa folie, il eut oublie
qu'elle dut venir le rejoindre, messer Orio lui a fait un accueil
tres-froid. Cependant il l'a traitee avec les plus grands egards; et
puisque votre seigneurie a jete les yeux sur la partie du chateau que l'on
decouvre de cette fenetre, elle a pu voir qu'on y a construit, avec une
celerite presque magique, un logement de bois a la maniere orientale,
tres-simple a la verite, mais beaucoup plus agreable que ces grandes
salles froides et sombres dans le gout de nos peres. Le jeune esclave turc
que messer Soranzo a ramene de Patras a donne le plan et preside a tous
les details de ce harem improvise, ou il n'y a qu'une sultane, il est vrai,
mais plus belle a elle seule que les cinq cents femmes reunies du sultan.
On a fait ici tout ce qui etait possible, et meme un peu plus, comme l'on
dit, pour rendre supportable a la niece de l'illustre amiral le sejour de
cette lugubre demeure."
Ezzelin laissait parler le vieux commandant sans l'interrompre. Il ne
savait a quoi se resoudre. Il desirait et craignait tout a la fois de voir
Giovanna. Il ne savait comment interpreter le signe qu'elle lui avait fait
de sa fenetre. Peut-etre avait-elle besoin, dans sa triste situation,
d'une protection respectueuse et desinteressee. Il allait se decider a lui
faire demander une entrevue par Leontio, lorsqu'une femme grecque, qui
etait au service de Giovanna, vint de sa part le prier de se rendre aupres
d'elle. Ezzelin prit avec empressement son chapeau qu'il avait jete sur
une table, et se disposait a suivre l'envoyee, lorsque Leontio,
s'approchant de lui et lui parlant a voix basse, le conjura de ne point
repondre a cet appel de la signora, sous peine d'attirer sur lui et sur
elle-meme la colere de Soranzo.
"Il a defendu sous les peines les plus severes, ajouta Leontio, de laisser
aucun Venitien, quels que soient son rang et son age, penetrer dans ses
appartements interieurs; et comme il est egalement defendu a la signora de
franchir l'enceinte des _galeries de bois_, je declare que cette entrevue
peut etre egalement funeste a votre seigneurie, a la signora Soranzo et a
moi.
--Quant a vos craintes personnelles, repondit Ezzelin d'un ton ferme, je
vous ai deja dit, monsieur, que vous pouviez passer a bord de ma galere et
que vous y seriez en surete; et quant a la signora Soranzo, puisqu'elle
est exposee a de tels dangers, il est temps qu'elle trouve un
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