esse et la vigueur de M. d'Artagnan, je
rirais avec les levres, je convaincrais les femmes que cette
perfide, honoree de mon amour, ne me laisse qu'un regret, celui
d'avoir ete abuse par ses semblants d'honnetete; quelques
railleurs flagorneraient le roi a mes depens; je me mettrais a
l'affut sur le chemin des railleurs, j'en chatierais quelques-uns.
Les hommes me redouteraient et, au troisieme que j'aurais couche a
mes pieds, je serais adore par les femmes.
Oui, voila un parti a prendre, et le comte de La Fere lui-meme n'y
repugnerait pas. N'a-t-il pas ete eprouve, lui aussi, au milieu de
sa jeunesse, comme je viens de l'etre? N'a-t-il pas remplace
l'amour par l'ivresse? Il me l'a dit souvent. Pourquoi, moi, ne
remplacerais-je pas l'amour par le plaisir?
Il avait souffert autant que je souffre, plus peut-etre!
L'histoire d'un homme est donc l'histoire de tous les hommes? une
epreuve plus ou moins longue plus ou moins douloureuse? La voix de
l'humanite tout entiere n'est qu'un long cri.
Mais qu'importe la douleur des autres a celui qui souffre? La
plaie ouverte dans une autre poitrine adoucit-elle la plaie beante
sur la notre? Le sang qui coule a cote de nous tarit-il notre
sang? Cette angoisse universelle diminue-t-elle l'angoisse
particuliere? Non, chacun souffre pour soi, chacun lutte avec sa
douleur, chacun pleure ses propres larmes.
Et, d'ailleurs, qu'a ete la vie pour moi jusqu'a present? Une
arene froide et sterile ou j'ai combattu pour les autres toujours,
pour moi jamais.
Tantot pour un roi, tantot pour une femme.
Le roi m'a trahi, la femme m'a dedaigne.
Oh! malheureux!... Les femmes! Ne pourrais-je donc faire expier a
toutes le crime de l'une d'elles?
Que faut-il pour cela?... N'avoir plus de coeur, ou oublier qu'on
en a un; etre fort, meme contre la faiblesse; appuyer toujours,
meme lorsque l'on sent rompre.
Que faut-il pour en arriver la? Etre jeune, beau, fort, vaillant,
riche. Je suis ou je serai tout cela.
Mais l'honneur? Qu'est-ce que l'honneur? Une theorie que chacun
comprend a sa facon. Mon pere me disait: "L'honneur, c'est le
respect de ce que l'on doit aux autres, et surtout de ce qu'on se
doit a soi-meme." Mais de Guiche, mais Manicamp, mais de Saint-
Aignan surtout me diraient: "L'honneur consiste a servir les
passions et les plaisirs de son roi." Cet honneur-la est facile et
productif. Avec cet honneur-la, je puis garder mon poste a la
Cour, devenir gentilhomme de la Chamb
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