avec force caresses, s'empara d'Athos, resolu de le faire
parler; mais Athos avait toutes les vertus au supreme degre. Quand
la necessite l'exigeait, il eut ete le premier orateur du monde,
au besoin; il fut mort avant de dire une syllabe, dans l'occasion.
Ces trois messieurs se placerent donc, dix minutes apres le depart
de d'Artagnan, devant une bonne table meublee avec le luxe
gastronomique le plus substantiel.
Les grosses pieces, les conserves, les vins les plus varies,
apparurent successivement sur cette table servie aux depens du
roi, et sur la depense de laquelle M. Colbert eut trouve
facilement a s'economiser deux tiers, sans faire maigrir personne
a la Bastille.
Baisemeaux fut le seul qui mangeat et qui but resolument. Aramis
ne refusa rien et effleura tout; Athos apres le potage et les
trois hors-d'oeuvre, ne toucha plus a rien.
La conversation fut ce qu'elle devait etre entre trois hommes si
opposes d'humeur et de projets.
Aramis ne cessa de se demander par quelle singuliere rencontre
Athos se trouvait chez Baisemeaux lorsque d'Artagnan n'y etait
plus, et pourquoi d'Artagnan ne s'y trouvait plus quand Athos y
etait reste. Athos creusa toute la profondeur de cet esprit
d'Aramis, qui vivait de subterfuges et d'intrigues, il regarda
bien son homme et le flaira occupe de quelque projet important.
Puis il se concentra, lui aussi, dans ses propres interets, en se
demandant pourquoi d'Artagnan avait quitte la Bastille si
etrangement vite, en laissant la un prisonnier si mal introduit et
si mal ecroue.
Mais ce n'est pas sur ces personnages que nous arreterons notre
examen. Nous les abandonnons a eux-memes, devant les debris des
chapons, des perdrix et des poissons mutiles par le couteau
genereux de Baisemeaux.
Celui que nous poursuivrons, c'est d'Artagnan, qui, remontant dans
le carrosse qui l'avait amene, cria au cocher, a l'oreille:
-- Chez le roi, et brulons le pave!
Chapitre CCIII -- Ce qui se passait au Louvre pendant le souper de
la Bastille
M. de Saint-Aignan avait fait sa commission aupres de La Valliere,
ainsi qu'on l'a vu dans un des precedents chapitres; mais, quelle
que fut son eloquence, il ne persuada point a la jeune fille
qu'elle eut un protecteur assez considerable dans le roi, et
qu'elle n'avait besoin de personne au monde quand le roi etait
pour elle.
En effet, au premier mot que le confident prononca de la
decouverte du fameux secret, Louise, eploree, jeta les hauts
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