s yeux. Cette fois, comme toujours, il alla donc droit au
portrait, posa ses genoux sur la chaise longue, et s'arreta a le
regarder tristement.
Il avait les bras croises sur la poitrine, la tete doucement
levee, l'oeil calme et voile, la bouche plissee par un sourire
amer.
Il regarda l'image adoree; puis tout ce qu'il avait dit repassa
dans son esprit, tout ce qu'il avait souffert assaillit son coeur,
et, apres un long silence:
-- O malheureux dit-il pour la troisieme fois.
A peine avait-il prononce ces deux mots, qu'un soupir et une
plainte se firent entendre derriere lui.
Il se retourna vivement, et, dans l'angle du salon, il apercut,
debout, courbee, voilee, une femme qu'en entrant il avait cachee
derriere le deplacement de la porte, et que depuis il n'avait pas
vue, ne s'etant pas retourne.
Il s'avanca vers cette femme, dont personne ne lui avait annonce
la presence, saluant et s'informant a la fois, quand tout a coup
la tete baissee se releva, le voile ecarte laissa voir le visage,
et une figure blanche et triste lui apparut.
Raoul se recula, comme il eut fait devant un fantome.
-- Louise! s'ecria-t-il avec un accent si desespere, qu'on n'eut
pas cru que la voix humaine put jeter un pareil cri sans que se
brisassent toutes les fibres du coeur.
-- Voulez-vous me faire la grace de vous asseoir et de m'ecouter?
dit Louise, l'interrompant avec sa plus douce voix.
Bragelonne la regarda un instant; puis, secouant tristement la
tete, il s'assit ou plutot tomba sur une chaise.
-- Parlez, dit-il.
Elle jeta un regard a la derobee autour d'elle. Ce regard etait
une priere et demandait bien mieux le secret qu'un instant
auparavant ne l'avaient fait ses paroles.
Raoul se releva, et, allant a la porte qu'il ouvrit:
-- Olivain, dit-il, je n'y suis pour personne.
Puis, se retournant vers La Valliere:
-- C'est cela que vous desirez? dit-il.
Rien ne peut rendre l'effet que fit sur Louise cette parole qui
signifiait: "Vous voyez que je vous comprends encore, moi."
Elle passa son mouchoir sur ses yeux pour eponger une larme
rebelle; puis, s'etant recueillie un instant:
-- Raoul, dit-elle, ne detournez point de moi votre regard si bon
et si franc; vous n'etes pas un de ces hommes qui meprisent une
femme parce qu'elle a donne son coeur, dut cet amour faire leur
malheur ou les blesser dans leur orgueil.
Raoul ne repondit point.
-- Helas! continua La Valliere, ce n'est que trop vrai; ma ca
|