_ou_ la victoire dans deux ou trois ans, _ou_ la destruction
complete pour au moins quinze a vingt ans. Avec une telle perspective,
ce serait folie de la part des democrates-socialistes allemands de
desirer la guerre qui mettrait tout en feu au lieu d'attendre le
triomphe certain par la paix. Il y a plus. Aucun socialiste, a quelle
nationalite qu'il appartienne, ne peut souhaiter la victoire, dans une
guerre eventuelle, ni du gouvernement allemand, ni de la republique
bourgeoise francaise, ni surtout du czar, ce qui equivaudrait a
l'oppression de l'Europe entiere. Et voila pourquoi les socialistes de
tous les pays doivent etre partisans de la paix. Si pourtant la guerre
eclate, il y a une chose qui est certaine: cette guerre, ou quinze a
vingt millions d'hommes s'entr'egorgeront et devasteront l'Europe comme
jamais elle ne le fut avant, engendrera la victoire immediate du
socialisme, ou l'ancien ordre des choses sera tellement bouleverse qu'il
n'en restera que des ruines dont la vieille societe capitaliste ne
pourra pas se relever, et la revolution sociale sera peut-etre retardee
de dix a quinze ans mais pour triompher plus radicalement."
Si l'analyse d'Engels etait juste, un homme d'etat energique, croyant a
ces predictions, ne manquerait certainement pas de provoquer aussitot
que possible la guerre. En effet, si le triomphe du socialisme est
certain apres une paix de dix ans, l'adversaire serait bien naif
d'attendre sans coup ferir cette echeance. Bien sot celui qui ne prefere
point une chance de reussite a la certitude de la defaite!
Quant a nous, nous croyons qu'Engels a perdu de vue que le peuple se
prete encore trop souvent aux machinations du premier aventurier venu.
On a encore eu, tres recemment, l'exemple de l'aventure boulangiste en
France. Et il est de notoriete publique qu'une partie des
socialistes--voire meme quelques chefs--se sont accroches a l'habit de
ce monsieur. Est-on bien sur qu'un habile aventurier quelconque ne
reussisse pas a faire avorter le mouvement democratique-socialiste en
s'affublant de quelques oripeaux socialistes, alors que Bebel manifeste
deja si peu de confiance, qu'il exprime sa crainte de voir "se laisser
seduire l'elite du parti"--et l'on peut certainement bien appeler ainsi
les delegues au Congres d'Erfurt--en souvenir des belles phrases "et
meme des beaux yeux d'un Vollmar." Ce temoignage n'indique pas
precisement une grande dose d'independance chez les plus conscients, et
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