suis ainsi. Laisse-moi donc te demander ou tu as
mange, ou tu as dormi depuis que tu nous as quittes!"
"--Depuis ce matin, comment aurais-je eu envie de dormir ou de manger?"
"--Tu ne te sens pas malade?
"--Pas le moins du monde.
"--Point fatigue? Tu as sans, doute beaucoup marche! gravi les
montagnes? cela est fort penible. Ou as-tu ete?"
"Albert mit la main sur ses yeux comme pour se rappeler; mais il ne put
le dire.
--Je vous avoue, repondit-il, que je n'en sais plus rien. J'ai ete fort
preoccupe. J'ai marche sans rien voir, comme je faisais dans mon
enfance, vous savez? je ne pouvais jamais vous repondre quand vous
m'interrogiez.
--Et durant tes voyages, faisais-tu plus d'attention a ce que tu voyais?
--Quelquefois, mais pas toujours. J'ai observe bien des choses; mais
j'en ai oublie beaucoup d'autres, Dieu merci!
--Et pourquoi _Dieu merci_?
--Parce qu'il y a des choses affreuses a voir sur la face de ce monde!
repondit-il en se levant avec un visage sombre, que jusque-la ma tante
ne lui avait pas trouve.
"Elle vit qu'il ne fallait pas le faire causer davantage, et courut
annoncer a mon oncle que son fils etait retrouve. Personne ne le savait
encore dans la maison, personne ne l'avait vu rentrer. Son retour
n'avait pas laisse plus de traces que son depart.
"Mon pauvre oncle, qui avait eu tant de courage pour supporter le
malheur, n'en eut pas dans le premier moment pour la joie. Il perdit
connaissance; et lorsque Albert reparut devant lui, il avait la figure
plus alteree que celle de son fils. Albert, qui depuis ses longs voyages
semblait ne remarquer aucune emotion autour de lui, parut ce jour-la
tout renouvele et tout different de ce qu'on l'avait vu jusqu'alors. Il
fit mille caresses a son pere, s'inquieta de le voir si change, et
voulut en savoir la cause. Mais quand on se hasarda a la lui faire
pressentir, il ne put jamais la comprendre, et toutes ses reponses
furent faites avec une bonne foi et une assurance qui semblaient bien
prouver l'ignorance complete ou il etait des sept jours de sa
disparition."
--Ce que vous me racontez ressemble a un reve, dit Consuelo, et me porte
a divaguer plutot qu'a dormir, ma chere baronne. Comment est-il possible
qu'un homme vive pendant sept jours sans avoir conscience de rien?
--Ceci n'est rien aupres de ce que j'ai encore a vous raconter; et
jusqu'a ce que vous ayez vu par vous-meme que, loin d'exagerer,
j'attenue pour abreger, vous aurez, je
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