ue vous craignez de vous faire connaitre a moi.
--Soit, dit le Genevois en avalant gaiement son sixieme verre de vin du
Rhin. Ah! vous voulez savoir mes secrets, monsieur l'Italien? Eh bien!
de tout mon coeur... Je suis amoureux de lady Mowbray.
--Bien! dit le comte en lui tendant le main dans un acces de gaiete
sympathique; tres-bien!
--Est-ce la premiere fois qu'un homme serait devenu amoureux d'une femme
sans l'avoir vue?
--Non, parbleu! dit Buondelmonte. J'ai lu plus de trente romans, j'ai vu
plus de vingt pieces de theatre qui commencaient ainsi; et croyez-moi,
la vie ressemble plus souvent a un roman qu'un roman ne ressemble a la
vie. Mais, dites-moi, je vous en prie, de tous les eloges que vous
avez entendu faire de lady Mowbray, quel est celui qui vous a le plus
enthousiasme?
--Attendez... dit Olivier, dont les idees commencaient a s'embrouiller
un peu. On raconte d'elle beaucoup de traits presque merveilleux: on dit
pourtant que, dans sa premiere jeunesse, elle avait montre le caractere
d'une personne assez frivole.
--Comment dites-vous? demanda Buondelmonte avec secheresse; mais Olivier
n'y fit pas attention.
--Oui, continua-t-il; je dis un peu coquette.
--C'est beaucoup plus flatteur! dit le comte. De sorte que...
--De sorte que, soit imprudence de sa part, soit jalousie de la part des
autres femmes, sa reputation avait recu en Angleterre quelques atteintes
assez serieuses pour lui faire desirer de quitter ce pays d'hommes
flegmatiques et de femmes collet monte. Elle vint donc en Italie
chercher une vie plus libre, des moeurs plus elegantes. Meme on dit...
--Que dit-on, monsieur? dit le comte d'un air severe.
--On dit... continua Olivier, dont la vue etait un peu troublee, bah!
elle l'a dit elle-meme en confidence, a Aix, a une de ses amies intimes,
qui l'a repete a tous les buveurs d'eau...
--Mais qu'est-ce donc qu'elle a dit? s'ecria le comte en coupant avec
impatience un fruit et un peu de son doigt.
--Elle a dit qu'a son arrivee en Italie elle etait si aigrie contre
l'injustice des hommes et si offensee d'avoir ete victime de leurs
calomnies, qu'elle se sentait disposee a fouler aux pieds les lois du
prejuge, et a mener une aussi joyeuse vie que la plupart des grands
personnages de ce pays-ci."
Le comte ota son bonnet de voyage et le remit gravement sur sa tete sans
dire une seule parole. Olivier continua.
"Mais ce fut en vain. La noble lady fit ce voeu sans connaitre son
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