-- Je ne sais pas, repondit la maman, mais ton mari a l'air de se
disputer fort avec ton oncle Herve.
Cependant la discussion continuait sur le ton du debut.
Tout a coup Vincent empoigna par le bras l'oncle Herve, car
c'etait bien lui, et l'entraina vers la sortie a grand renfort de
coups de pied dans le derriere.
-- Vincent est devenu fou! s'ecria la mariee en s'effondrant dans
son fauteuil.
Et toute la noce de repeter: " Vincent est devenu fou! "
Vincent n'etait pas devenu fou, mais en apprenant le nom de
l'embrasseur, il etait devenu tres embete.
Avec une philosophie charmante, il prit son chapeau, son pardessus
et le premier train pour Paris.
Peu de jours apres cette regrettable scene, il recut des nouvelles
de Fontenay sous la forme d'une demande de divorce.
Vincent Desflemmes ne constitua meme pas d'avoue. L'avocat de la
partie adverse eut beau jeu a demontrer sa folie subite, sa
demence incoercible, son insanite degoutante, son alienation
redoutable. Le divorce fut prononce.
Vincent en a ete quitte pour reprendre ses occupations qui
consistent a s'en aller flaner, entre les repas, tout seul, sans
canne, sans chien, sans femme.
Il a toujours conserve un vif penchant pour les noces des autres,
mais il n'y rencontre plus l'embrasseur.
LE PENDU BIENVEILLANT
Aussi loin derriere lui qu'il reportat ses souvenirs, il ne se
rappelait pas une seule minute de veine dans sa pauvre vie. La
guigne, toujours la guigne! Et pourtant, chose etrange, jamais de
cette serie obstinement noire n'etait resultee pour lui, l'ombre
d'une jalousie ou d'une rancune.
Il aimait son prochain, et de tout son coeur le plaignait de la
triste existence a laquelle il etait voue.
Un beau jour, ou plutot un fort vilain jour, il en eut assez de
cette vie, par trop bete vraiment.
Tranquillement, sans phrases, sans correspondance posthume, sans
attitude de melodrame, il resolut de mourir. Non pas pour se tuer,
mais tres simplement pour cesser de vivre, parce que vivre sans
jouir lui semblait d'une inutilite flagrante.
Les differents genres de mort defilerent dans son imagination,
lugubres et indifferents.
Noyade, coup de pistolet, pendaison...
Il s'arreta a ce dernier mode de suicide.
Puis, au moment de mourir, il lui vint une immense pitie pour ceux
qui allaient continuer a vivre...
Une immense pitie et un vif desir de les soulager.
Alors, il s'enfonca dans la campagne, arriva dans des champs de
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