e mon
pantalon (je suis extremement soigneux de mes effets), quand
apparut mon ami Axelsen.
Mon ami Axelsen est un jeune peintre norvegien, plein de talent et
de sentimentalite.
Il a du talent a jeun et de la sentimentalite le reste du temps.
A ce moment, la sentimentalite dominait.
Etait-ce la brise un peu vive? Etait-ce le trop-plein de son
coeur?... Ses yeux se remplissaient de larmes.
-- Eh bien! fis-je, cordial, ca ne va donc pas, Axelsen?
-- Si, ca va. Spectacle superbe, mais douloureux souvenir. Toutes
les plus fortes marees du siecle brisent mon pauvre coeur.
-- Contez-moi ca.
-- Volontiers, mais pas la.
Et il m'entraina dans la petite arriere-boutique d'un bureau de
tabac ou une jeune femme anglaise, plutot jolie, nous servit un
swenskapunch de derriere les fagots.
Axelsen etancha ses larmes, et voici la navrante histoire qu'il me
narra:
-- Il y a cinq ans de cela. J'habitais Bergen (Norvege) et je
debutais dans les arts. Un jour, un soir plutot, a un bal chez
M. Isdahl, le grand marchand de rogues, je tombai amoureux d'une
jeune fille charmante a laquelle, du premier coup, je ne fus pas
completement indifferent. Je me fis presenter a son pere et devins
familier de la maison. C'etait bientot sa fete. J'eus l'idee de
lui faire un cadeau, mais quel cadeau?... Tu ne connais pas la baie
de Vaagen?
-- Pas encore.
-- Eh bien, c'est une fort jolie baie dont mon amie raffolait,
surtout en un petit coin. Je me dis: " Je vais lui faire une jolie
aquarelle de ce petit coin, elle sera bien contente. " Et un beau
matin me voila parti avec mon attirail d'aquarelliste. Je n'avais
oublie qu'une chose, mon pauvre ami: de l'eau. Or tu sais que si
le mouillage est interdit aux marchands de vins, il est presque
indispensable aux aquarellistes. Pas d'eau! Ma foi, me dis-je, je
vais faire mon aquarelle a l'eau de mer, je verrai ce que ca
donnera.
" Ca donna une fort jolie aquarelle que j'offris a mon amie et
qu'elle accrocha tout de suite dans sa chambre. Seulement... tu ne
sais pas ce qui arriva?
-- Je le saurai quand tu me l'auras dit.
-- Eh bien, il arriva que la mer de mon aquarelle, peinte avec de
l'eau de mer, fut sensible aux attractions lunaires, et sujette
aux marees. Rien n'etait plus bizarre, mon pauvre ami, que de
voir, dans mon tableau, cette petite mer monter, monter, monter,
couvrant les rochers, puis baisser, baisser, baisser, les laissant
a nu, graduellement.
-- Ah!
--
|