ruelle ou nous
la retrouverons facilement. A cause des chiens de la ferme qui
pourraient aboyer et donner l'eveil, c'est plus prudent.
Mais non mon ami, il n'y avait pas moyen, tu le sais, de nous voir
davantage et de convenir de tout ceci de vive voix. Tu sais qu'ici je
vis captive et que les vieux ne me laissent pas plus sortir qu'ils ne te
permettent a toi de rentrer. Ah! de quel cachot je m'echappe ... Oui
j'aurai soin de prendre des souliers de rechange que je mettrai sitot
que nous serons dans la voiture, car l'herbe du bas du jardin est
trempee.
Comment peux-tu me demander encore si je suis resolue et prete? Mais mon
amour, voici des mois que je me prepare et que je me tien prete! des
annees que je vis dans l'attente de cet instant!--Et si je ne vais rien
regretter?--Tu m'as donc pas compris que j'ai pris tous ceux qui
s'attachent a moi en horreur, tous ceux qui m'attachent ici. Est-ce
vraiment la douce et la craintive Isa qui parle? Mon ami, mon amant,
qu'avez-vous fait de moi, mon amour?...
J'etouffe ici; je songe a tout l'ailleurs qui s'entr'ouve ... J'ai
soif ...
J'allais oublier de te dire qu'il n'y a pas eu moyen d'enlever les
saphirs de l'ecrin, parce que ma tante n'a plus laisse ses clefs dans sa
chambre; aucune de celles que j'ai essayees n'a pus aller au tiroir ...
Ne me gronde pas; j'ai le bracelet de maman, la chaine emaillee et deux
bagues--qui n'ont sans doute pas grande valeur puisqu'elle ne les met
pas; mais je crois que la chaine est tres belle. Pour de l'argent ... je
ferai mon possible; mais tu feras tout de meme bien de t'en procurer.
A toi de toutes mes prieres. A bientot, ton Isa.
Ce 22 Octobre, anniversaire de ma vingt-deuxieme annee et veille de mon
evasion._
Je songe avec terreur, si j'avais a cuisiner en roman cette histoire,
aux quatre ou cinq pages de developpements qu'il sierait ici de gonfler:
reflexions apres lecture de cette lettre, interrogations, perplexites ...
En verite, comme apres un tres violent choc, j'etais tombe dans un etat
semi-lethargique. Quand enfin parvint a mon oreille, a travers la
confuse rumeur de mon sang, un son de cloche, qui redoubla: c'est le
second appel du dejeuner, pensai-je; comment n'ai-je pas entendu le
premier? Je tirai ma montre: midi! Aussitot, bondissant au dehors,
l'ardente lettre pressee contre mon coeur, je m'elancai tete nue sous
l'averse.
Les Floche deja s'inquietaient de moi et, quand j'arrivai tout
soufflant:
--Mais v
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