'echapperent comme un cri:
--Quoi! c'est vous qui l'avez fait tuer?
Alors laissant tomber a terre la lettre et le panier dont les menus
objets se repandirent, elle courba son front dans ses mains et commenca
de sangloter eperdument. Je me penchai vers elle et tentai de prendre
une de ses mains dans les miennes.
--Non! vous etes ingrat et brutal.
Mon imprudent exclamation coupait court a sa confidence; elle se
raidissait a present contre moi; cependant je restais assis devant elle,
bien resolu a ne la quitter point qu'elle ne se fut expliquee davantage.
Ses sanglots enfin s'apaiserent; je lui persuadai doucement qu'elle
avait deja trop parle pour pouvoir impunement se taire, mais qu'une
confession sincere ne saurait la diminuer a mes yeux et qu'aucun aveu ne
me serait plus penible que son silence. Les coudes sur les genoux, ses
mains croisees cachant son front, voici ce qu'elle me raconta.
La nuit qui preceda celle qu'elle avait fixee pour sa fuite, dans
l'amoureuse exaltation de la veillee, elle avait ecrit cette lettre; le
lendemain, elle l'avait portee au pavillon, glissee en cet endroit
secret que Blaise de Gonfreville connaissait et ou elle savait que
bientot il viendrait la prendre. Mais sitot de retour au chateau,
lorsqu'elle s'etait retrouvee dans cette chambre qu'elle voulait quitter
pour jamais, une angoisse indicible l'avait saisie, la peur de cette
liberte inconnue qu'elle avait si sauvagement desiree, la peur de cet
amant qu'elle appelait encore, de soi-meme et de ce qu'elle craignait
d'oser. Oui la resolution etait prise, oui le scrupule refoule, la honte
bue, mais a present que rien ne la retenait plus, devant la porte
ouverte pour sa fuite, le coeur brusquement lui manquait. L'idee de
cette fuite lui devenait odieuse, intolerable; elle courait dire a
Gratien que le baron de Gonfreville avait projete de l'enlever aux siens
cette nuit meme, qu'on le trouverait rodant avant le soir aupres du
pavillon de la grille, dont il fallait deja l'empecher d'approcher.
Je m'etonnai qu'elle ne fut point allee simplement rechercher elle-meme
cette lettre et la remplacer par une autre ou d'une si folle entreprise
elle eut decourage son amant. Mais aux questions que je lui posais elle
se derobait sans cesse, repetant en pleurant qu'elle savait bien que je
ne la pouvais comprendre et qu'elle-meme ne se pouvait mieux expliquer,
mais qu'elle ne se sentait alors non plus capable de rebuter son amant
que le suivre;
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