mment cet homme avait pu aller jusqu'au crime pour proteger l'honneur
de ses maitres.
--Elle est dans le chateau, maintenant?
--A l'heure qu'il est, elle doit se promener dans le parc. Parait que ca
ne lui fait pas de mal, a elle; elle regarde les ebrancheurs; il y meme
des jours qu'elle cause avec eux, sans honte. Mais quand il pleut, elle
ne quitte pas sa chambre; tenez, celle qui fait le coin; elle se tient
tout contre la vitre et regarde dans le jardin. Si son homme n'etait pas
a Lisieux pour le quart d'heure, je ne sortirais pas comme je fais. Ah!
on peut dire que c'est du beau monde, Monsieur Lacase; pour sur! Si
seulement nos pauvres vieux maitres revenaient pour voir ca chez eux,
ils retourneraient bien vite ou ils reposent.
--Casimir est par la?
--Je pense qu'il promene dans le parc lui aussi. Voulez-vous que je
l'appelle?
--Non; je saurai bien le trouver. A tantot. Je vous reverrai sans doute,
Delphine et vous, avant de partir.
Le saccage des bucherons paraissait plus atroce encore a ce moment de
l'annee ou tout s'appretait a revivre. Dans l'air attiedi les rameaux
deja se gonflaient; des bourgeons eclataient et, coupee, chaque branche
pleurait sa seve. J'avancais lentement, non point tant triste moi-meme
qu'exalte par la douleur du paysage, grise peut-etre un peu par
puissante odeur vegetale que l'arbre mourant et la terre en travail
exhalaient. A peine etais-je sensible au contraste de ces morts avec le
renouveau du printemps; le parc, ainsi, s'ouvrait plus largement a la
lumiere qui baignait et dorait egalement mort et vie; mais cependant, au
loin, le chant tragique des cognees, occupant l'air d'une solennite
funebre, rythmait secretement les battements heureux de mon coeur, et la
vieille lettre d'amour, que j'avais emportee, dont je m'etais promis de
ne me point servir, mais que par instants je pressais sur mon coeur, le
brulait. Rien plus ne saurait m'empecher aujourd'hui, me redisais-je, et
je souriais de sentir mes pas se presser a la seule pensee d'Isabelle;
ma volonte n'y pouvait, mais une force interieure m'activait. J'admirais
par quel exces de vie cet accent de sauvagerie que la depredation
apportait a la beaute du paysage en aiguisait pour moi la jouissance;
j'admirais que les medisances de l'abbe eussent si peu fait pour me
detacher d'Isabelle et que tout ce que je decouvrais d'elle avivat
inavouablement mon desir ... Qu'est-ce qui l'attachait encore a ces
lieux, peuples de hideux so
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