je m'etais menage: c'etait, a cote de
celle de Madame Floche, ou vraisemblablement se tenait le conciliabule,
une petite chambre inhabitee, qu'avait occupee d'abord Monsieur Floche
(il preferait a present le voisinage de ses livres a celui de sa femme);
la porte de communication, dont j'avais soigneusement tire le verrou
pour me mettre a l'abri d'une surprise, avait un peu flechi, et je
m'etais assure qu'immediatement, sous le chambranle je pouvais glisser
mon regard; il me fallait, pour y atteindre, me jucher sur une commode
que j'avais poussee tout aupres.
A present passait par cette fente un peu de lumiere qui, renvoyee par le
plafond blanc, me permettait de me guider. Je retrouvai tout comme je
l'avais laisse dans le jour. Je me hissai sur la commode, plongeai mes
regards dans la chambre voisine ...
Isabelle de Saint-Aureol etait la.
Elle etait devant moi, a quelques pas de moi ... Elle etait assise sur un
de ces disgracieux sieges bas sans dossier, qu'on appelait je crois des
"poufs", dont la presence etonnait un peu dans cette chambre ancienne et
que je ne me souvenais point d'y avoir vu lorsque j'etais entre porter
des fleurs. Madame Floche se tenait enfoncee dans un grand fauteuil en
tapisserie; une lampe posee sur un gueridon pres du fauteuil les
eclairait discretement toutes deux. Isabelle me tournait le dos; elle
s'inclinait en avant, presque couchee sur les genoux de sa vieille
tante, de sorte que d'abord je ne vis pas son visage; bientot elle
releva la tete. Je m'attendais a la trouver davantage vieillie; pourtant
je reconnaissais a peine en elle la jeune fille du medaillon; non moins
belle sans doute, elle etait d'une beaute tres differente, plus
terrestre et comme humanisee; l'angelique candeur de la miniature le
cedait a une langueur passionnee, et je ne sais quel degout froissait le
coin de ses levres que le peintre avait dessinees entrouvertes. Un grand
manteau de voyage, une sorte de waterproof, d'une etoffe assez commune
semblait-il, la recouvrait, mais releve de cote, laissait voir une jupe
noire de taffetas luisant sur lequel sa main degantee, qu'elle laissait
pendre et qui tenait un mouchoir chiffonne, paraissait
extraordinairement pale et fragile. Une petite capote de feutre et de
plumes moirees, a brides de taffetas, la coiffait; une boucle de cheveux
tres noirs, repassait par dessus la bride et, des qu'elle baissait la
tete, revenait en avant cacher la tempe. On l'aurait dite en deuil sa
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