Pere
Jullien m'attendait. Il m'a fait les honneurs de son jardin, de sa
chapelle et de ses ruines. L'aimable homme, et l'admirable jardin!
La vieillesse ennemie n'a su courber sa haute taille. Il a
quatre-vingts ans, bon pied, bon oeil, et une ouie de vingt ans. Il
m'a mene voir l'obelisque--le seul qui soit reste debout de tous
ceux de la Basse et de la Moyenne Egypte; il date de 2760 avant
notre ere--les soubassements d'un temple, les restes du mur
d'enceinte, le parc d'autruches. Une heure et demie a baudet, et par
une chaleur!... J'ai lu, dans une interessante brochure qu'il a
publiee sur "l'Arbre de la Vierge", que les obelisques romains des
places Vaticane, Saint-Jean de Latran, du Peuple et Monte-Citorio
ont ete enleves d'Heliopolis sous les empereurs.
La chapelle est charmante. On y voit une touchante inscription
latine exprimant, avec une breve eloquence, la tristesse des
religieux exiles qui attendent avec une foi inebranlable, dans le
travail et le combat, l'heure ou ils pourront rentrer dans leur
patrie.
Quant au jardin, une pure merveille. Le Pere Jullien en est tres
fier. Si vous voulez gagner son coeur, admirez tout haut ses
bambous, ses palmiers, ses roses et les pommes d'or de ses
mandariniers. "C'est un homme distingue", me disait de lui, au
Caire, une personnalite appreciee pour son intelligence et son
jugement. Je l'ai bien vu tout de suite. Cet homme tres distingue
est, par surcroit, un jardinier de premier ordre. C'est lui qui a
dessine et plante l'adorable jardin ou j'ai passe, le 24 decembre
1907, une heure delicieuse, au milieu de beaux arbres inconnus,
fremissants et tout verts, en songeant a la desolation et au froid
de nos hivers. Cette merveille a pousse en vingt ans. Il y a vingt
ans, le sable du desert tourbillonnait ici. L'eau du Nil et le Pere
Jullien ont fait pousser dans le desert ce paradis terrestre. L'eau
du Nil, dans toute l'Egypte, don magnifique du vieux fleuve, opere
tous les jours de ces miracles. Le Pere Jullien l'amena pres de ses
plantations. Au bout de quelques annees, le jardin fut plein de
promesses. Les bambous, hauts de vingt metres, croissent d'un
noeud--plus de dix centimetres!--par jour. "Il y a six mois, me
disait le Pere Jullien, j'embrassais facilement, de mes deux bras
arrondis, ce jeune acacia. Essayez donc aujourd'hui." Le tronc a
grossi d'au moins vingt centimetres.
Matarieh a rang de lieu saint secondaire. L'Arbre de la Vierge y est
venere depuis les
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