e parlerent un
aussi formidable langage. L'effort de ces batisseurs ne fut jamais
depasse. Et voila ce qu'il en reste! _Ad quid?_ A quoi bon? Ces
palais et ces temples titanesques, les voila saccages comme, au
moment de la maree, les constructions des enfants sur le sable.
Puissance des rois, audace des architectes, fier ou gracieux genie
des artistes, labeur accablant des esclaves: jeux puerils que tout
cela. Tout cela n'a paru sur la terre, un moment, que pour
interesser M. Legrain et amuser quelques touristes ...
Retournons flaner, avant la nuit, dans les allees profondes de la
salle hypostyle. Tout a l'heure, dans le premier emoi, saisis et
stupefaits en presence de ces geants de pierre, nous n'avions d'yeux
que pour leur masse enorme et l'effet grandiose de leur alignement.
M. Legrain va faire revivre pour nous le cortege, maintenant efface
et confus, des dieux et des rois graves sur leurs futs millenaires.
Des dieux a tete de chacal, d'ibis ou de chouette entourent le
grand dieu de Thebes a figure d'homme; le Priape egyptien etale
impudemment sa sereine impudeur. Un peu plus loin, sur la face d'un
pylone, des processions de barques sacrees deroulent leurs theories;
un roi vainqueur fait massacrer des prisonniers de guerre, troupeau
tremblant agenouille sous le glaive.
Le soir tombe; une chape d'ombre violette descend du ciel, ou le
soleil decline. Depechons-nous de monter sur le grand pylone. Voici
l'heure de la plus belle scene. A l'ouest, le soleil gagne la chaine
lybique; le Nil charrie du feu; de grands nuages carmin incendient
les confins de l'horizon. De l'autre cote, les ruines entrent dans
la nuit. Les obelisques semblent tomber, comme d'immenses
stalactites, de la voute, maintenant sombre, ou s'allument les
etoiles; ca et la, au-dessus d'un pylone ou du bonnet de pierre
d'une effigie souriante, flotte, embrasee par des rayons de pourpre
sanglante, la chevelure d'un palmier; la lune monte; les ombres des
colonnes s'allongent sur la blancheur du sable ... Ce spectacle nous
hantera toute la vie.
Nous sommes revenus a Karnak dans la soiree, mais tard, apres dix
heures, surs d'eviter alors l'exuberante gaite des touristes qu'on
rencontre helas! en bandes, par les beaux clairs de lune, dans la
magnifique solitude des ruines endormies. Quel magicien a pu, en si
peu de temps et dans le meme cadre, faire un autre tableau? Elargie,
sans limites, infinie, la ville baigne dans une lumiere tres douce,
et toute
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