il ignore les moyens. On a suscite, pour l'eblouir et
lui donner le vertige, le grand fantome du mensonge politique, et, quand
je dis le mensonge, c'est faire trop d'honneur a l'element bizarre et
ridicule qui fait mouvoir l'opinion de la France en ce moment. Nous
avons un mot trivial que vous traduirez par quelque equivalent dans
votre langue: c'est le _canard_ politique. Tous les matins, une histoire
merveilleuse, absurde, ignoble le plus souvent, part de je ne sais quels
cloaques de Paris et fait le tour de la France, agitant les populations
sur son passage, leur annoncant un sauveur nouveau, ou un ogre pret a
les devorer, les livrant a de folles esperances ou a de sottes frayeurs,
et se personnifiant, par une mysterieuse solidarite, dans les individus
qui plaisent ou deplaisent aux diverses localites. Ce peuple intelligent
mais credule et impressionnable, on travaille ainsi a l'abrutir; mais,
comme ce n'est pas facile, on ne reussit qu'a l'exalter et a le rendre
fou. Aussi nulle part il n'est tranquille, nulle part il ne comprend.
Ici, il crie: "A bas la Republique! et vive l'egalite!" Ailleurs: "A
bas l'egalite! et vive la Republique!".
D'ou peut sortir la lumiere, au milieu d'un tel conflit d'idees fausses
et de formules menteuses? De belles et nobles lois peuvent seules
expliquer a la foule que la Republique est non pas la propriete de telle
ou telle classe, de telle ou telle personne, mais la doctrine du salut
de tous.
Qui fera ces lois? Une Assemblee vraiment nationale. La notre
malheureusement subit toutes les preventions et cede a toutes les
influences qui font la perte des monarchies.
Vous voyez, ami, combien il est difficile a une societe de se
transformer sans combat et sans violence. Et pourtant notre ideal, a
nous autres, c'etait d'arriver a cette transformation sans discorde
civile, sans cette guerre impie des citoyens d'une meme nation les uns
contre les autres. Je vous confesse que, la royaute mise de cote, apres
ce court et glorieux elan du peuple de Paris, qu'on ne peut pas appeler
un combat, mais qui fut bien plutot une manifestation puissante ou
quelques citoyens se sont offerts a Dieu et a la France comme une
hecatombe sacree, mon ame ne s'etait pas cuirassee au point d'envisager
sans horreur l'idee de la guerre sociale. Je ne la croyais pas possible,
et elle ne l'est point, en effet, de la part de ce peuple magnanime ou
les idees sociales out assez penetre pour le rendre eminemment pacifiq
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