ccusait de la
surprise et des preoccupations, la pauvre vieille est presque sourde.
--Je l'avais devine a son air, repartit Max. Ce n'est pas pour t'entendre
elever la voix que je suis etonne. A te parler franchement, depuis mon
entree ici, je ne remarque que des choses qui me confondent.
--Qu'est-ce qui t'etonne donc tant? demanda Clement.
--Comment! fit Destroy, quand on t'a vu, comme je t'ai vu pendant dix ans,
vivre au jour la journee, changer d'hotel tous les quinze jours, prendre
racine dans les bals, te railler infatigablement de la vie bourgeoise, tu
ne veux pas que je m'etonne de te trouver marie, pere de famille,
travaillant, economisant, vivant au coin de ton feu, ni plus ni moins
qu'un notaire ou qu'un sous-prefet?
--C'est precisement parce que j'ai vecu ainsi, dit Clement avec assez de
raison, que tu ne devrais pas t'etonner de me voir vivre d'une autre
maniere.
--Crois au moins, s'empressa d'ajouter Max, que ma surprise n'a rien de
desobligeant pour toi: elle eclate, au contraire, du plaisir que j'eprouve
a te rencontrer tout autre. Certes, je t'aime mieux ici que dans cet
horrible bouge de la rue Saint-Louis en l'Ile ou je t'ai vu avec Rosalie
l'avant-dernier automne, je crois."
Le tressaillement qui agita les nerfs de Clement attesta que Max venait de
lui rappeler un souvenir extremement penible.
"A moins que tu n'en veuilles a notre repos, dit-il d'un air tout assombri,
tu ne parleras jamais, surtout devant ma femme, de ce temps funeste....
Tu me feras egalement plaisir en cessant de t'extasier a notre position
nouvelle. Tu seras peut-etre tout le premier a l'estimer bien modeste,
quand je t'en aurai detaille l'origine. Outre que j'ai du me plier a des
pratiques honteuses, que de temps il m'a fallu pour parvenir ou j'en suis!
Cela ne parait pas; mais l'etat mediocre ou tu me vois, si precaire encore,
est pourtant la resultante d'une lutte quotidienne de deux annees au
moins; car il y a bien autant que je ne t'ai pas apercu.
--Oh! pas tant, dit Destroy.
--Au reste, mes livres font foi, dit Clement.
--Tu tiens aussi des livres?
--Certainement, repartit Clement dont le visage brilla de satisfaction, et
un journal! Depuis le moment ou j'ai eu cette idee, je puis rendre compte
non-seulement de ce que j'ai recu et depense, a un centime pres, mais,
encore de chacun de mes jours, heure par heure, minute par minute. Je veux
te montrer cela."
Il se leva en effet, et alla a son casier.
|