s pas, ma chere Nina, sans connaitre un peu l'histoire de la
Boheme? dit la jeune baronne.
--Helas, repondit Consuelo, ainsi que mon maitre a du vous l'ecrire, je
suis tout a fait depourvue d'instruction; je connais tout au plus un peu
l'histoire de la musique; mais celle de la Boheme, je ne la connais pas
plus que celle d'aucun pays du monde.
--En ce cas, reprit Amelie, je vais vous en dire succinctement ce qu'il
vous importe d'en savoir pour l'intelligence de mon recit. Il y a trois
cents ans et plus, le peuple opprime et efface au milieu duquel vous
voici transplantee etait un grand peuple, audacieux, indomptable,
heroique. Il avait des lors, a la verite, des maitres etrangers, une
religion qu'il ne comprenait pas bien et qu'on voulait lui imposer de
force. Des moines innombrables le pressuraient; un roi cruel et debauche
se jouait de sa dignite et froissait toutes ses sympathies. Mais une
fureur secrete, une haine profonde, fermentaient de plus en plus, et un
jour l'orage eclata: les maitres etrangers furent chasses, la religion
fut reformee, les couvents pilles et rases, l'ivrogne Wenceslas jete en
prison et depouille de sa couronne. Le signal de la revolte avait ete le
supplice de Jean Huss et de Jerome de Prague, deux savants courageux de
Boheme qui voulaient examiner et eclaircir le mystere du catholicisme,
et qu'un concile appela, condamna et fit bruler, apres leur avoir promis
la vie sauve et la liberte de la discussion. Cette trahison et cette
infamie furent si sensibles a l'honneur national, que la guerre
ensanglanta la Boheme et une grande partie de l'Allemagne, pendant de
longues annees. Cette guerre d'extermination fut appelee la guerre des
Hussites. Des crimes odieux et innombrables y furent commis de part et
d'autre. Les moeurs du temps etaient farouches et impitoyables sur toute
la face de la terre. L'esprit de parti et le fanatisme religieux les
rendirent plus terribles encore, et la Boheme fut l'epouvante de
l'Europe. Je n'effraierai pas votre imagination, deja emue, de l'aspect
de ce pays sauvage, par le recit des scenes effroyables qui s'y
passerent. Ce ne sont, d'une part, que meurtres, incendies, pestes,
buchers, destructions, eglises profanees, moines et religieux mutiles,
pendus, jetes dans la poix bouillante; de l'autre, que villes detruites,
pays desoles, trahisons, mensonges, cruautes, hussites jetes par
milliers dans les mines, comblant des abimes de leurs cadavres, et
jonchant la terre
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