ontrarier ce besoin de repos et d'oubli
de toutes choses.
"--Et cela est frequent? demanda mon oncle.
"--J'ai observe ce phenomene cinq ou six fois seulement durant huit
annees, repondit l'abbe; et, ne l'ayant jamais trouble par mes
empressements, je ne l'ai jamais vu avoir de suites facheuses.
"--Et cela dure-t-il longtemps? demandai-je a mon tour, fort
impatientee.
"--Plus ou moins, dit l'abbe, suivant la duree de l'insomnie qui precede
ou occasionne ces fatigues: mais nul ne peut le savoir, car monsieur le
comte ne se souvient jamais de cette cause, ou ne veut jamais la dire.
Il est extremement assidu au travail, et s'en cache avec une modestie
bien rare.
"--Il est donc bien savant? repris-je.
"--Il est extremement savant.
"--Et il ne le montre jamais?
"--Il en fait mystere, et ne s'en doute pas lui-meme.
"--A quoi cela lui sert-il, en ce cas?
"--Le genie est comme la beaute, repondit ce jesuite courtisan en me
regardant d'un air doucereux: ce sont des graces du ciel qui ne
suggerent ni orgueil ni agitation a ceux qui les possedent."
"Je compris la lecon, et n'en eus que plus de depit, comme vous pouvez
croire. On resolut d'attendre, pour sortir, le reveil de mon cousin;
mais lorsqu'au bout de deux heures, je vis qu'il ne bougeait, j'allai
quitter mon riche habit d'amazone, et je me mis a broder au metier, non
sans casser beaucoup de soies, et sans sauter beaucoup de points.
J'etais outree de l'impertinence d'Albert, qui s'etait oublie sur ses
livres la veille d'une promenade avec moi, et qui, maintenant,
s'abandonnait aux douceurs d'un paisible sommeil, pendant que je
l'attendais. L'heure s'avancait, et force fut de renoncer au projet de
la journee. Mon pere, bien confiant aux paroles de l'abbe, prit son
fusil, et alla tuer un lievre ou deux. Ma tante, moins rassuree, monta
les escaliers plus de vingt fois pour ecouter a la porte de son neveu,
sans pouvoir entendre meme le bruit de sa respiration. La pauvre femme
etait desolee de mon mecontentement. Quant a mon oncle, il prit un livre
de devotion pour se distraire de son inquietude, et se mit a lire dans
un coin du salon avec une resignation qui me donnait envie de sauter par
les fenetres. Enfin, vers le soir, ma tante, toute joyeuse, vint nous
dire qu'elle avait entendu Albert se lever et s'habiller. L'abbe nous
recommanda de ne paraitre ni inquiets ni surpris, de ne pas adresser de
questions a monsieur le comte, et de tacher de le distra
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