et la poussait aux
premiers roles, esperant la faire succeder dans cet emploi a la Corilla,
qui s'etait definitivement engagee avec Paris pour la saison suivante.
Corilla voyait sans depit cette concurrence dont elle n'avait rien a
craindre, ni dans le present, ni dans l'avenir; elle prenait meme un
mechant plaisir a faire ressortir cette incapacite froidement impudente
qui ne reculait devant rien. Ces deux creatures vivaient donc en bonne
intelligence, et gouvernaient souverainement l'administration. Elles
mettaient a l'index toute partition serieuse, et se vengeaient du
Porpora en refusant ses operas pour accepter et faire briller ses plus
indignes rivaux. Elles s'entendaient pour nuire a tout ce qui leur
deplaisait, pour proteger tout ce qui s'humiliait devant leur pouvoir.
Grace a elles, on applaudit cette annee-la a Venise les oeuvres de la
decadence, et on oublia que la vraie, la grande musique y avait regne
naguere.
Au milieu de son succes et de sa prosperite (car le comte lui avait fait
un engagement assez avantageux), Anzoleto etait accable d'un profond
degout, et succombait sous le poids d'un bonheur deplorable. C'etait
pitie de le voir se trainer aux repetitions, attache au bras de la
triomphante Corilla, pale, languissant, beau comme un ange, ridicule de
fatuite, ennuye comme un homme qu'on adore, aneanti et debraille sous
les lauriers et les myrtes qu'il avait si aisement et si largement
cueillis. Meme aux representations, lorsqu'il etait en scene avec sa
fougueuse amante, il cedait au besoin de protester contre elle par son
attitude superbe et sa langueur impertinente. Lorsqu'elle le devorait
des yeux, il semblait, par ses regards, dire au public: N'allez pas
croire que je reponde a tant d'amour. Qui m'en delivrera, au contraire,
me rendra un grand service.
Le fait est qu'Anzoleto, gate et corrompu par la Corilla, tournait
contre elle les instincts d'egoisme et d'ingratitude qu'elle lui
suggerait contre le monde entier. Il ne lui restait plus dans le coeur
qu'un sentiment vrai et pur dans son essence: l'indestructible amour
qu'en depit de ses vices il nourrissait pour Consuelo. Il pouvait s'en
distraire, grace a sa legerete naturelle; mais il n'en pouvait pas
guerir, et cet amour lui revenait comme un remords, comme une torture,
au milieu de ses plus coupables egarements. Infidele a la Corilla,
adonne a mille intrigues galantes, un jour avec la Clorinda pour se
venger en secret du comte, un autre av
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