personnages silencieux, Albert etait certainement le moins
dispose et le moins habitue a donner de l'animation aux autres. Le
chapelain etait si devoue a ses maitres et si respectueux envers le chef
de la famille, qu'il n'ouvrait guere la bouche sans y etre sollicite par
un regard du comte Christian; et celui-ci etait d'une nature si paisible
et si recueillie, qu'il n'eprouvait presque jamais le besoin de chercher
dans les autres une distraction a ses propres pensees.
Le baron Frederick etait un caractere moins profond et un temperament
plus actif; mais son esprit n'etait guere plus anime. Aussi doux et
aussi bienveillant que son aine, il avait moins d'intelligence et
d'enthousiasme interieur. Sa devotion etait toute d'habitude et de
savoir-vivre. Son unique passion etait la chasse. Il y passait toutes
ses journees, rentrait chaque soir, non fatigue (c'etait un corps de
fer), mais rouge, essouffle, et affame. Il mangeait comme dix, buvait
comme trente, s'egayait un peu au dessert en racontant comment son chien
Saphyr avait force le lievre, comment sa chienne Panthere avait depiste
le loup, comment son faucon Attila avait pris le vol; et quand on
l'avait ecoute avec une complaisance inepuisable, il s'assoupissait
doucement aupres du feu dans un grand fauteuil de cuir noir jusqu'a ce
que sa fille l'eut averti que son heure d'aller se mettre au lit venait
de sonner.
La chanoinesse etait la plus causeuse de la famille. Elle pouvait meme
passer pour babillarde; car il lui arrivait au moins deux fois par
semaine de discuter un quart d'heure durant avec le chapelain sur la
genealogie des familles bohemes, hongroises et saxonnes, qu'elle savait
sur le bout de son doigt, depuis celle des rois jusqu'a celle du moindre
gentilhomme.
Quant au comte Albert, son exterieur avait quelque chose d'effrayant et
de solennel pour les autres, comme si chacun de ses gestes eut ete un
presage, et chacune de ses paroles une sentence. Par une bizarrerie
inexplicable a quiconque n'etait pas initie au secret de la maison, des
qu'il ouvrait la bouche, ce qui n'arrivait pas toujours une fois par
vingt-quatre heures, tous les regards des parents et des serviteurs se
portaient sur lui; et alors on eut pu lire sur tous les visages une
anxiete profonde, une sollicitude douloureuse et tendre excepte
cependant sur celui de la jeune Amelie, qui n'accueillait pas toujours
ses paroles sans un melange d'impatience ou de moquerie, et qui, seule,
osait y r
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