La rudesse des moeurs du Nord s'est attenuee et ils ont remplace le coup
de feu par l'intrigue; ils ne portent pas le fusil, mais portent en eux
une imagination qui leur montre tout possible; toutefois, la douceur du
climat, la facilite de la vie, qui contrastent si singulierement avec
les rudes saisons des massifs de l'Albanie du Nord et les penibles
luttes de l'existence du petit bey montagnard de Liouma ou de Malaisia,
ont donne a ceux qui sont nes aux rives de la Vopoussa et aux cotes de
Vallona la nonchalance orientale, la paresse d'agir, commune aux peuples
favorises pendant trop de siecles par la chaleur du ciel mediterraneen
et la tiedeur des flots qui chassent vers le Nord les hivers rigoureux.
C'est ainsi que trop souvent l'ardeur des gens de Vallona est
imaginative et l'initiative renvoyee au lendemain.
Chacun sait que le semblant de gouvernement etabli par Ismail Kemal en
decembre 1912 dura l'espace d'une annee et n'arbora sur la ville
l'etendard de l'Albanie independante, l'aigle noir a deux tetes sur fond
rouge, que pour le transmettre au prince choisi par l'Europe. Sous le
regime turc, Vallona n'etait dotee que d'un simple Kaimakan; c'est tout
un ministere qui y fut etabli par Ismail et, trait caracteristique, un
ministere de grands proprietaires: Zenel bey, nomme sans le savoir
president du senat, est le chef de la grande famille des Mahmoud Begovic
d'Ipek, dont j'ai conte l'entretien dans _l'Albanie inconnue_; Riza bey,
le chef de la plus vieille famille de Diakovo, etait designe comme
commandant de la milice nationale, en compagnie d'Issa Boletinatz, le
celebre bey agitateur; Abdi bey Toptan, nomme aux finances, Mehmed Pacha
a la guerre, Lef Nossis aux postes etaient tous de grands proprietaires;
c'etait le ministre des beys, avec Luidgi Karakouki, ancien secretaire
d'Ismail Kemal, au commerce, comme agent d'affaires pour les
circonstances delicates, type de levantin ruse et adroit, qui connait
italien et francais et servait d'interprete entre l'Albanie et l'Europe.
Tel etait le gouvernement, disons de Vallona, car il ne gouvernait, au
vrai sens du mot, guere au dela d'une zone d'une cinquantaine de
kilometres autour de la ville. Au Nord et a l'Est, c'est l'anarchie
albanaise; au Sud, c'est la population grecque orthodoxe d'Epire, qui
reclame son rattachement a la Grece, a l'exception de quelques groupes
musulmans refugies dans les montagnes, comme les Lap pres de
Santi-Quaranta et, surtout plus au S
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