is a lui faire
eviter les pierres, les ornieres; il semblait comprendre qu'il etait
dans l'avenir son seul appui, son seul ami. Juliette avait sans doute la
meme pensee, car elle mettait plus d'abandon dans ses allures, dans ses
paroles; elle ne retenait plus sa pensee, qu'elle deroula tout entiere
quand Charles lui reparla de ce qu'elle venait de lui apprendre, et de
ses propres impressions sur le projet de sa soeur et sur ceux presumes
de Charles. Elle lui avoua que depuis longtemps elle songeait avec
terreur au jour ou elle le verrait lie par le mariage a un autre devoir
et a une affection.
"Ce n'est pas de l'egoisme, Charles, je t'assure; c'est un sentiment
naturel devant la perte d'un bonheur dont j'apprecie toute la valeur et
que rien ne peut remplacer."
Charles fut moins confiant, il lui parla peu de ses pensees intimes;
mais en revanche il lui temoigna une affection plus vive et lui promit
encore une fois de ne jamais l'abandonner.
"Ce n'est pas un sacrifice, Juliette, je t'assure; c'est un sentiment
d'instinct naturel pour mon propre bonheur."
Et Charles disait vrai. Profondement reconnaissant de la metamorphose
que Juliette avait operee en lui par sa douceur, sa patience, sa piete,
sa constance, sa vive affection, il s'etait promis et il avait promis a
Dieu de se devouer a elle comme elle s'etait devouee a lui. Il vit avec
un redoublement de reconnaissance la tendresse toujours croissante
que lui portait Juliette; il comprit qu'elle ne pouvait etre heureuse
qu'avec lui et par lui; il comprit que s'il introduisait une femme dans
leur interieur, ce serait leur malheur a tous: Juliette, qui souffrirait
toujours de ne plus venir qu'en second dans son affection; sa femme, qui
craindrait toujours que Juliette ne reprit sa place au premier rang;
lui-meme, enfin, qui verrait sans cesse les objets de sa tendresse
souffrir par lui et a cause de lui. Il jura donc de ne jamais se
marier, de toujours garder Juliette chez lui, et, si quelque evenement
extraordinaire, comme le mariage de Marianne, rendait cette position
impossible, de faire de Juliette sa femme, a moins qu'elle n'y voulut
pas consentir et qu'elle ne preferat rester pres de lui comme son amie,
sa soeur.
Les semaines, les mois se passerent ainsi; Marianne attendait avec
patience et ne se lassait pas d'offrir des femmes a Charles, qui
les rejetait toutes; il avait vingt-trois ans, Marianne en avait
trente-quatre, Juliette en avait vingt-cinq. Enfin,
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