mais, tant que j'aurai le bonheur d'avoir Juliette avec
moi, je la promenerai, je la soignerai comme par le passe. J'espere,
Mademoiselle Lucy, ajouta-t-il en se tournant vers elle, que vous ne
m'en Voudrez pas; si vous connaissiez Juliette, si vous saviez tout ce
que je lui dois, tout ce qu'elle a fait et continue a faire encore pour
mon bien, vous Trouveriez bon et naturel qu'elle passat pour moi avant
tout le monde."
Lucy ne repondit pas et parut embarrassee; elle se mit pres de Juliette,
qui fut bonne et aimable comme toujours. Elle craignait que Lucy ne
fut blessee de ce manque d'empressement de Charles a son egard; elle
cherchait d'autant mieux a le faire oublier. Charles fut tres poli, mais
il ne chercha pas a dissimuler que sa premiere pensee et sa constante
preoccupation etaient pour Juliette.
XXI
LES INTERROGATOIRES; CE QUI S'ENSUIT
Quand la visite fut terminee, M. Turnip interrogea sa fille sur
l'opinion qu'elle avait de Charles.
Lucy:--Il est tres bien, mais il ne me plait pas.
Monsieur Turnip:--Pourquoi cela? Il est beau garcon; il a de l'esprit,
il est gai, aimable.
Lucy:--C'est possible; mais il sera un detestable mari.
Monsieur Turnip:--Qu'est-ce que tu dis donc? Tu oublies le bien qu'on en
dit de tous cotes.
Lucy:--Je ne dis pas non; il peut etre admirable de vertus et de
qualites, mais je ne voudrais jamais accepter un mari pareil.
Monsieur Turnip:--Ah bien! tu es joliment difficile! Qu'as-tu a lui
reprocher?
Lucy:--Cette petite aveugle qu'il promene, qu'il soigne, de laquelle il
est constamment preoccupe, et qu'il voudra continuer a mener comme un
vrai chien d'aveugle.
Monsieur Turnip:--Mais c'est tres bien, ca; c'est elle qui l'a eleve; il
est reconnaissant, ce garcon! Je n'y vois pas de mal, au contraire.
Lucy:--D'abord, elle ne peut pas l'avoir eleve, car elle a l'air
beaucoup plus jeune que lui qui a vingt-trois ans; avec ca qu'elle est
fort jolie et qu'elle est toujours occupee de lui.
Monsieur Turnip:--Occupee de lui! Je le crois bien; cette pauvre petite
qui est aveugle: il faut qu'elle appelle sitot qu'elle a besoin de
quelque chose. Serais-tu jalouse d'une aveugle, par hasard?
Lucy, avec humeur:--D'abord, je ne suis pas jalouse, parce que cela
m'est bien egal; mais si je voulais encourager le desir que vous m'avez
exprime de la part de Mlle Marianne et de M. Charles, j'exigerais avant.
tout qu'on fit partir cette petite et qu'on ne la laissat jamais rentre
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