ou trois valets qui, se croyant poursuivis par
l'ennemi, fuyaient a pied de leur mieux. Ils s'etaient crus coupes en
m'entendant galoper devant eux; je les rassurai et j'appris d'eux
que M. le marquis de Laval, M. de Langeron, Bozon et quelques autres
menaient aussi dans le bois une vie errante et inquiete. Je quittai
ces effarouches en croyant apercevoir un chariot que je pouvais
imaginer etre celui du baron de Viomenil... Je rejoignis enfin mes
compagnons, auxquels j'appris la suite de mes aventures, et ils se
deciderent aussitot a gagner Douvres, qui paraissait le rendez-vous.
"Nous partimes de suite pour nous rendre a cette ville, qui
est eloignee de dix-sept milles. J'avais pour tout equipage un
portefeuille assez gros qui m'incommodait beaucoup a porter, lorsque
je rencontrai un matelot de la _Gloire_ qui, effraye ainsi que les
autres, s'etait enfui et mourait de faim. Comme le besoin rend tendre,
il se jeta a mes genoux ou plutot a ceux de mon cheval pour me
demander d'avoir soin de lui; je l'accueillis en bon prince; je lui
donnai d'abord a manger, puis, considerant que j'etais absolument
denue de serviteur, je jugeai convenable de faire de ce malotru
completement goudronne le compagnon intime de mes infortunes. En
consequence, je louai un cheval pour mon ecuyer; il s'amarra dessus
de son mieux; je lui confiai mon portefeuille, et je commencai a me
prevaloir, vis-a-vis de mes camarades, de l'avantage que mon nouveau
confident me donnait sur eux.
"Nous etions a moitie chemin de Douvres, lorsque nous rencontrames un
aide de camp de M. de Viomenil qui nous dit que ce general venait de
recevoir avis que les ennemis et la maree s'etant retires en meme
temps, il etait possible d'essayer de repecher les barriques d'argent
qu'on avait jetees a la mer, et que le general retournait au lieu du
debarquement pour presider a ce travail. L'aide de camp ajouta que M.
de Viomenil nous chargeait de conduire a Douvres le premier convoi
d'argent, qu'il abandonnait a nos soins. Ce convoi nous joignit
quelques moments apres. Il etait d'environ quinze cent mille livres
nous le fimes repartir sur trois chariots expedies par M. de Lauzun,
et nous arrivames ainsi fort doucement mais tres-surement a Douvres,
ou le general ne nous joignit qu'a onze heures du soir; il etait
parvenu a sauver le reste de ses millions.
"Nous sejournames ce jour-la a Douvres, petite ville assez jolie, qui
compte environ quinze cents habitants. J'y fis mo
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