mme a la ville, chez les grands comme chez les bourgeois,
parmi les militaires comme parmi les financiers, tout le monde fixait
une sympathique attention sur la cause des Americains insurges.
C'etait une singuliere epoque que celle qui presentait de pareils
contrastes dans les opinions, dans les gouts et dans les moeurs. On
voyait alors des abbes ecrire des contes licencieux, des prelats
briguer des ministeres, des officiers s'occuper de philosophie et de
litterature. On parlait de morale dans les boudoirs, de democratie
chez les nobles, d'independance dans les camps. La cour applaudissait
les maximes republicaines du _Brutus_ de Voltaire, et le monarque
absolu qui y regnait embrassait enfin la cause d'un peuple revolte
contre son roi. Ce desordre dans les idees et dans les moeurs,
cette desorganisation sociale, etaient les signes precurseurs d'une
transformation a laquelle les Americains devaient donner une impulsion
vigoureuse.
J'ai dit comment quelques Francais, entraines par le gout des
aventures ou par leur enthousiasme, devancerent la declaration de
guerre, trop lente a venir a leur gre; comment partit le corps
expeditionnaire aux ordres de M. de Rochambeau; comment enfin la
bravoure des troupes alliees, ainsi que la bonne entente et l'habilete
des chefs, amenerent pour l'Angleterre des revers irreparables. La
moindre consequence du succes des armes francaises aux Etats-Unis
fut l'affaiblissement de son ennemie seculaire. Un grand nombre des
officiers qui, par l'ordre d'un gouvernement absolu ou entraines par
leur engouement des idees nouvelles, avaient ete defendre en Amerique
les droits meconnus des citoyens, revinrent avec une vive passion pour
la liberte et pour l'independance.
Le fils d'un ministre, M. de Segur, ecrivait le 10 mai 1782:
"Quoique jeune, j'ai deja passe par beaucoup d'epreuves et je suis
revenu de beaucoup d'erreurs. _Le pouvoir arbitraire me pese.
La liberte pour laquelle je vais combattre m'inspire un vif
enthousiasme_, et je voudrais que mon pays put jouir de celle qui est
compatible avec notre monarchie, notre position et nos moeurs."
Ces derniers mots indiquent toutes les difficultes que devait
rencontrer la realisation du reve qui tourmentait l'esprit,
non-seulement de M. de Segur, mais de toute la jeune generation
francaise. Comment concevoir une liberte compatible avec une monarchie
absolue dans son essence, avec une position politique toujours menacee
par des voisins jaloux et
|