enseigne favorite, du
moins plusieurs se la sont appropriee, et chacun l'a retournee a sa
facon. Quelques-uns meme de ces messieurs trouvant que ce prince
etoit un sujet propre a achalander leur boutique, l'ont oblige, sans
trop consulter son inclination, a courir le monde comme un
avanturier, pour leur apporter de tous les pays etrangers des
materiaux curieux, propres a etre mis en oeuvre. Il n'est pas bien
decide s'il en est revenu plus homme de bien; mais on ne peut pas
douter qu'apres de si longues courses il n'eut besoin de se mettre
quelque tems en retraite; et il a heureusement trouve un nouveau
maitre, homme d'esprit et charitable, qui a retire le pauvre prince
chez lui, uniquement pour lui faire prendre du repos.
Il y a quelque tems, me dit le prince Zazaraph, qu'il parut dans ces
quartiers-ci un de ces genies rares et sublimes, tels que la nature
en produit a peine un dans chaque siecle. Il concut que le travail
que vous voyez faire a ces ouvriers pourroit etre de quelque secours
pour former le coeur et l'esprit des jeunes princes, s'il etoit bien
fait et manie avec art et avec sagesse. Il entreprit d'en donner un
modele. Son enseigne etoit au Prince D'Ithaque, et ce lieu que vous
voyez qu'il semble que l'on ait voulu consacrer par respect pour sa
memoire, etoit le lieu ou il travailloit. Il est vrai qu'il fit un
chef-d'oeuvre qu'on ne pouvoit se lasser de voir, et ou il trouva
l'art de meler ensemble tout ce qu'il y a de plus riant et de plus
gracieux, avec tout ce que la sagesse et la religion ont de plus
parfait et de plus sublime. C'est cet ouvrage qui devroit
aujourd'hui servir de modele a tous les ouvriers, et quelques-uns en
effet se sont efforces de l'imiter; mais on est reduit a loueer leurs
efforts, et toujours force de plaindre leur foiblesse.
Le prince me fit pourtant remarquer dans le meme quartier quelques
boutiques qui etoient assez accreditees. Je me souviens sur-tout de
deux. La premiere avoit pour enseigne le Prince Sethos; et a juger
de ce prince par son portrait, c'etoit un homme d'esprit, a qui on
ne pouvoit reprocher qu'une trop forte application a l'etude de
l'antiquite. La seconde etoit occupee par une ouvriere d'un esprit
fin et solide qui s'etoit fait depuis peu de tems beaucoup de
reputation. Elle avoit pour enseigne la cour de Philippe Auguste, et
l'empressement du public a acheter ses ouvrages, ayant deja epuise
sa boutique, elle en travailloit de nouveaux qu'on attendoit avec
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