ail. C'est, dit l'autre, un reste precieux d'un tel ouvrier qui
a laisse en mourant une si grande reputation. C'est, dit un autre,
une imitation d'un ouvrage chinois ou indien, ouvrage extremement
recherche. Pour moi, dit un marchand plus desinteresse en apparence,
je n'avois nulle envie de communiquer mon ouvrage; mais mes amis et
des personnes de bon gout l'ayant vu, m'ont tellement presse d'en
faire part au public, que je n'ai pu resister a leurs
sollicitations. Ils accompagnent en meme tems ces discours de
manieres si honnetes et si polies, qu'on ne peut gueres se defendre
de leur acheter quelque chose, au hazard de payer cher de mauvaise
marchandise, comme il arrive le plus souvent.
Le hazard nous ayant d'abord adresses au quartier des enfileurs,
j'eus la curiosite de parcourir avec le Prince Zazaraph quelques-
unes des boutiques; car il faudroit une annee entiere pour les
parcourir toutes. J'admirai veritablement l'adresse avec laquelle je
vis ces ouvriers enfiler ensemble mille petites babioles. Un petit
fil tres-mince leur suffit pour cela, et l'habilete consiste a faire
durer ce fil jusqu'a la fin sans le rompre: car s'il faut le
renoueer, ou en ajouter un autre, l'ouvrage n'a plus le meme prix; la
boutique qui me parut la plus achalandee, avoit pour enseigne, aux
mille et une nuits. L'ouvrier, dit-on, est un des plus celebres du
quartier. Comme son enseigne a eu succes, quelques-autres ouvriers
n'ont pas manque de l'imiter, dans l'esperance de reuessir egalement.
L'un a pris les mille et un jours; l'autre a pris les mille et une
heures: un autre, les mille et un quarts d'heure. Leur fil en effet
est a peu pres le meme. Mais il faut qu'ils n'ayent pas ete aussi
heureux que le premier dans le choix des babioles.
J'y remarquai encore quelques enseignes des plus distinguees, comme
aux soirees bretonnes, aux veillees de Thessalie, aux contes
chinois, etc.. Mais ces ouvriers, dit-on, ont plus de fecondite que
de force d'imagination. Trop foibles pour entreprendre un ouvrage
d'un seul sujet, ils n'ont de ressource que dans la multitude, a peu
pres comme un homme qui n'ayant point assez d'etoffe pour faire un
habit, le compose de diverses pieces rapportees; bigarrure qui ne
peut jamais faire a l'ouvrier qu'un honneur mediocre. Le quartier
des souffleurs est presque desert depuis long-tems, parce qu'il se
trouve peu d'ouvriers qui ayent l'haleine assez forte pour fournir a
ce travail. Il semble que Cyrus soit leur
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