te les fleuves rapides et profonds qui les
traversent, et les inondent, et s'il franchit les montagnes prodigieuses
que l'action des eaux detruit, il apercevra bientot qu'un developpement
successif et inevitable de ce nouveau continent tend a l'agrandir dans
tous les sens, et rendra peut-etre un jour sa surface egale a celle de
notre hemisphere.
"Il est des sites dans les montagnes des Cordilleres ou des obstacles
plus ou moins puissant retardent cette meme degradation: la plaine de
Santa Fee de Bogota est entre ces sites celui qui m'a paru le mieux
caracterise et le plus frappant. Il sera l'objet de ce Memoire: on
verra avec surprise qu'un pays sain, agreable, abondant, et fertile
aujourd'hui, etoit autrefois le plus depourvu et le plus miserable du
monde, ou l'Indien malheureux n'avoit pour tout bien que des rivieres
sans poissons, des oiseaux en petit nombre, un quadrupede ou deux, et
quelques legumes; on sera etonne d'apprendre qu'une temperature froide
environnee d'un climat brulant, fut une barriere insurmontable pour
presque tous les animaux et les plantes des pays chauds. La nature
agresse et avare de ses dons sembloit en rejeter l'homme, et vouloir y
etre en quelque sorte separee du reste du monde par des rochers
enormes, coupes verticalement, qu'on ne parvient a franchir qu'avec des
difficultes etranges a travers un brouillard humide et tenebreux, qui
persuade au voyageur fatigue qu'il travers la region des nues.
"Arrive au haut de ces montagnes, un nouveau ciel, un nouvel ordre
de choses se presentent; ce ne sont plus ces insectes degoutans et
insupportables qui le fatiguoient sans relache; ces reptiles venimeux,
dont il redoutoit la morsure; ces betes feroces toujours prets a le
devorer; enfin, cette, chaleur suffocante des lieux bas qu'il vient de
quitter; l'air qu'il respire rafraichit et le vivifie; il s'arrete, et
ce qui l'environne l'etonne et le ravit; s'il regarde au-dessous de lui,
tout est eclipse par des nuages, dont la surface egale mouvante lui
represente une mer qu'habite le silence et que termine son horison;
s'il jette la vue sur la plaine qui se perd devant lui, les nues
qu'il croyait sous ses pieds, roulent majestueusement sur sa tete; de
nouvelles montagnes s'elevent de toutes parts, et forment un nouveau
monde qui paroit independant du premier.
"Pour donner une idee exacte de ce pays singulier, j'ai cru devoir
transporter le spectateur a la capitale, ou de la comme d'un centre, il
pu
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