--Non, mais j'aimerais mieux ta banqueroute que des retards.
--Ah! que vous etes donc presse de jouir! Eh bien! voyons, vous me
donnerez un seul jour par semaine, et j'aurai des outils a moi.
--Il parait qu'il tient beaucoup a ce jour de liberte, dit Emile;
accordez-le-lui, mon pere.
--Je lui accorde le dimanche.
--Et moi je ne l'accepte que pour me reposer, dit Jean avec indignation; me
prenez-vous pour un paien? Je ne travaille pas le dimanche, Monsieur; ca me
porterait malheur, et je ferais de la mauvaise ouvrage pour vous et pour
moi.
--Eh bien, mon pere vous donnera le lundi ...
--Taisez-vous, Emile, point de lundi! Je n'entends pas cela. Vous ne
connaissez pas cet homme. Intelligent et rempli d'inventions parfois
heureuses, souvent pueriles, il ne s'amuse que quand il peut travailler a
des niaiseries a son usage; il tranche du menuisier, de l'ebeniste, que
sais-je? il est adroit de ses mains; mais quand il s'abandonne a ses
fantaisies, il devient flaneur, distrait et incapable d'un travail serieux.
--Il est artiste, mon pere! dit Emile en souriant avec des larmes dans les
yeux, ayez un peu de pitie pour le genie!"
M. Cardonnet regarda son fils d'un air de mepris; mais Jean, prenant la
main du jeune homme: "Mon enfant, dit-il avec sa familiarite etrange et
noble, je ne sais pas si tu me rends justice, ou si tu te moques de moi,
mais tu as dit la verite! j'ai trop d'esprit d'invention pour le metier
qu'on veut que je fasse ici. Quand je travaille chez mes amis du village,
chez M. Antoine, chez le cure, chez le maire, ou chez de pauvres gueux
comme moi, ils me disent: "Fais comme tu voudras, invente ca toi-meme, mon
vieux! suis ton idee, ca sera un peu plus long, mais ca sera bien!" Et
c'est alors que je travaille avec plaisir, oui! avec tant de plaisir, que
je ne compte pas les heures, et que j'y mets une partie des nuits. Ca me
fatigue, ca me donne la fievre, ca me tue quelquefois! mais j'aime cela,
vois-tu, mon garcon, comme d'autres aiment le vin. C'est mon amusement, a
moi ... Ah! riez et moquez-vous, monsieur Cardonnet; eh bien, votre
ricanement m'offense, et vous ne m'aurez pas, non, vous ne m'aurez pas,
quand meme les gendarmes seraient la, et qu'il irait de la guillotine. Me
vendre a vous corps et ame pendant deux ans! Ne faire que ce qui vous
plaira, vous voir inventer, et n'avoir pas mon avis! car si vous me
connaissez, je vous connais aussi: je sais comment vous etes, et qu'il ne
se rem
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