r si on laisse faire M. Antoine, il ne me laissera
pas placer une parole.
--Parle, Janille, parle! s'ecria M. Antoine; je te demande pardon de t'en
avoir privee si longtemps!"
X
UNE BONNE ACTION.
"A en croire M. Antoine, dit Janille, nous aurions ete absolument prives de
ressources; mais, s'il en fut ainsi, cela ne dura pas trop longtemps, Au
bout de quelques annees, quand la terre de Chateaubrun eut ete vendue en
detail, les dettes soldees, et toute cette debacle bien liquidee, on
s'apercut qu'il restait encore a monsieur un petit capital, qui, bien
place, pouvait lui assurer douze cents francs de rente. He! he! cela
n'etait point a dedaigner. Mais, avec la bonte et la generosite de
monsieur, cela eut pu aller un peu vite; c'est alors que ma mie Janille,
qui vous parle, reconnut qu'il fallait prendre les renes du gouvernement.
Ce fut elle qui se chargea du placement des fonds, et elle ne s'en acquitta
pas trop mal. Puis, que dit-elle a monsieur? Vous souvenez-vous, Monsieur,
de ce que je vous dis a cette epoque-la?
--Je m'en souviens fort bien, Janille, car tu me parlas sagement. Redis-le
toi-meme.
--Je vous dis: "He! he! monsieur Antoine, voila de quoi vivre en vous
croisant les bras. Mais cela vous ennuierait, vous avez pris gout au
travail, vous etes encore jeune et bien portant: donc, vous pouvez
travailler encore quelques annees. Vous avez une fille, un vrai tresor, qui
annonce autant d'esprit que de beaute; il faut songer a lui faire donner de
l'education. Nous allons la conduire a Paris, la mettre en pension, et
pendant quelques annees vous serez encore charpentier." M. Antoine ne
demandait pas mieux; oh! pour cela il faut lui rendre justice, il ne
plaignait point sa peine; mais il avait pris avec ces bons paysans des
idees un peu trop rustiques a mon gre. Il disait que puisqu'il etait
destine a vivre en ouvrier de campagne, il serait plus sage d'elever sa
fille en vue de sa condition, d'en faire une brave villageoise, de lui
apprendre a lire, a coudre, a filer, a tenir un menage; mais du diantre si
j'entendis de cette oreille-la! Pouvais-je souffrir que mademoiselle de
Chateaubrun derogeat a son rang et ne fut pas elevee comme une noble
demoiselle qu'elle est? Monsieur ceda, et notre Gilberte fut elevee a
Paris, sans que rien fut epargne pour lui donner de l'esprit et des
talents; aussi elle en a profite comme un petit ange, et quand elle eut
environ dix-sept ans, je dis de rechef a monsieu
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