re. Il aura songe lui-meme a l'avenir; il n'aura pas besoin
d'aumones et de protections comme votre ami Jappeloup le vagabond; il sera
veritablement un homme libre. Il n'y a pas d'autre moyen de sauver le
peuple, Emile. Je suis fache de te dire que ce sera plus long a realiser qu
une utopie a concevoir; mais si l'entreprise est rude et longue, elle est
digne d'un philosophe comme toi, et je ne la trouve pas au-dessus des
forces d'un travailleur de mon espece.
--Quoi! c'est la tout l'ideal de l'industrie, dit Emile, ecrase sous cette
conclusion. Le peuple n'a pas d'autre avenir que le travail incessant, au
profit d'une classe qui ne travaillera jamais?
--Telle n'est pas ma pensee, reprit M. Cardonnet, Je hais et meprise les
oisifs: c'est pour cela que je n'aime pas les poetes et les metaphysiciens.
Je veux que tout le monde travaille suivant ses facultes, et mon ideal,
puisque ce mot te plait, ne serait pas eloigne de celui des
saint-simoniens: _A chacun suivant sa capacite_, la recompense
proportionnee au merite. Mais, dans le temps ou nous vivons, l'industrie
n'a pas encore assez pris son essor pour qu'on puisse songer a un systeme
moral de repartition. Il faut voir ce qui est et n'envisager que le
possible. Tout le mouvement du siecle tourne a l'industrie. Que l'industrie
regne donc et triomphe; que tous les hommes travaillent: qui du bras, qui
de la tete; c'est a celui qui a plus de tete que de bras a diriger les
autres; il a le droit et le devoir de faire fortune. Sa richesse devient
sacree, puisqu'elle est destinee a s'accroitre, afin d'accroitre le travail
et le salaire. Que la societe concoure donc, par tous les moyens, a asseoir
la puissance de l'homme capable! sa capacite est un bienfait public; et que
lui-meme s'efforce d'augmenter sans cesse son activite: c'est son devoir
personnel, sa religion, sa philosophie. En somme, il faut etre riche pour
devenir toujours plus riche, vous l'avez dit, Emile, sans comprendre que
vous disiez la plus excellente des verites.
--Ainsi, mon pere, vous ne donnez a l'homme qu'autant qu'il travaille? Mais
comptez-vous donc pour rien celui qui ne peut pas travailler?
--Je trouve, dans la richesse, les moyens de pouvoir secourir l'infirme et
l'idiot.
--Mais le paresseux?
--J'essaie de le corriger; et, si je ne reussis pas, je l'abandonne aux
lois de repression, vu qu'il ne tarde pas a etre nuisible et a encourir
leur rigueur.
--Dans une societe parfaite, cela pourrait
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