er. J'ai pense tantot que c'etait vous qui me repondiez precisement par
forme de politesse ou de plaisanterie; mais aurais-je donc reellement le
bonheur de trouver chez vous la sanction de mes desirs et de mes reves?
--Qu'y a-t-il donc la d'etonnant? reprit le marquis avec calme. La verite
ne peut-elle se reveler dans la solitude aussi bien que dans le tumulte, et
n'ai-je pas assez vecu pour arriver a distinguer le bien du mal, le vrai du
faux? Vous me prenez pour un homme tres-positif et tres froid. Il est
possible que je sois ainsi; a mon age, on est trop las de soi-meme pour
aimer a s'examiner; mais, en dehors de notre personnalite, il y a des
realites generales qui sont assez dignes d'interet pour nous distraire de
nos ennuis.
"J'ai eu longtemps les opinions et les prejuges dont on m'avait nourri; mon
indolence s'arrangeait assez bien de n'y pas regarder de trop pres; et puis
j'avais des soucis interieurs qui m'en otaient la pensee. Mais depuis que
la vieillesse m'a delivre de toute pretention au bonheur et de toute
espece de regret ou d'interet particulier, j'ai senti le besoin de me
rendre compte de la vie generale des etres, et, par consequent, du sens des
lois divines appliquees a l'humanite.
"Quelques brochures saint-simoniennes m'etaient arrivees par hasard, je les
lisais par desoeuvrement, ne pensant point encore qu'on put depasser les
hardiesses de Jean-Jacques et de Voltaire, avec lesquelles l'examen m'avait
reconcilie.
"Je voulais connaitre davantage les principes de cette nouvelle ecole, de
la je passai a l'etude de Fourier. J'admis toutes ces choses, mais sans
voir bien clair dans leurs contradictions, et sentant encore quelque
tristesse a voir l'ancien monde s'ecrouler sous le poids de theories
invincibles dans leur systeme de critique, confuses et incompletes dans
leurs principes d'organisation.
"C'est depuis cinq ou six ans seulement que j'ai accepte, avec un parfait
desinteressement et une grande satisfaction d'esprit, le principe d'une
revolution sociale.
"Les tentatives du communisme m'avaient paru d'abord monstrueuses, sur la
foi de ceux qui les combattaient. Je lisais les journaux et les
publications de toutes les ecoles, et je m'egarais lentement dans ce
labyrinthe sans me rebuter de la fatigue.
"Peu a peu l'hypothese communiste se degagea de ses nuages; de bons ecrits
vinrent porter la lumiere dans mon esprit. Je sentis la necessite de me
reporter aux enseignements de l'histoire e
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