it sur moi.
Ils ne m'avaient pas encore vu; mais si je traversais leur chemin, ils ne
pouvaient manquer de me voir, et ils connaissent si bien ma figure! Je
n'avais pas le temps de la reflexion. Je m'enfonce dans la haie, je la
traverse comme un renard, et je me trouve dans le parc de Boisguilbault, ou
je me couche tranquillement le long de la cloture, pendant que mes bons
gendarmes passent leur chemin sans seulement tourner la tete de mon cote.
Quand ils sont un peu loin, je me leve et je me dispose a sortir comme
j'etais venu, lorsque tout d'un coup je me sens frapper sur l'epaule, et,
en me retournant, je me trouve nez a nez avec M. de Boisguilbault, qui me
dit avec sa figure triste et sa voix d'enterrement: "Que fais-tu ici?
"--Ma foi, vous le voyez, monsieur le marquis, je me cache.
"--Et pourquoi te cacher?
"--Parce qu'il y a des gendarmes a deux pas d'ici.
"--Tu as donc fait un crime?
"--Oui, j'ai pris deux lapins et tue un lievre.
"La-dessus, comme je voyais qu'il ne me ferait pas beaucoup d'autres
questions, je me mets vite a lui raconter mes mesaventures, en aussi peu de
mots que possible, car vous savez que c'est un homme qui a toujours dans
l'esprit quelque autre chose que celle dont on l'occupe. On ne sait point
s'il vous entend: il a toujours l'air de ne pas se soucier de vous ecouter.
Il y a bien des annees que je ne l'avais vu de pres, puisqu'il vit renferme
dans son parc comme une taupe dans son trou, et que je n'ai plus acces chez
lui. Il m'a paru bien vieilli, bien affaibli, quoiqu'il soit encore droit
comme un peuplier; mais il est si maigre, qu'on verrait le jour a travers,
et sa barbe est blanche comme celle d'une vieille chevre; ca me faisait de
la peine, et pourtant j'etais encore plus contrarie de voir que, pendant
que je lui parlais, il s'en allait coupant devant lui toutes les mauvaises
herbes de son allee, avec cette petite sarclette qu'il tient toujours dans
sa main. Je le suivais pas a pas, parlant toujours, racontant mes peines,
non pas pour mendier ses secours, je n'y songeais pas, mais pour voir s'il
avait encore un peu d'amitie pour moi.
"Enfin, il se retourne de mon cote et me dit sans me regarder: "Et pourquoi
n'as-tu pas demande une caution a quelque personne riche de ton village?
"--Diable! que je lui reponds, il n'y en a guere dans Gargilesse, de
personnes riches.
"--N'y a-t-il pas un M. Cardonnet etabli depuis peu?
"--Oui, mais il est maire, et c'est lui qui ve
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